lundi 3 mars 2008

Un peu de poésie dans ce monde de brutes

Aujourd'hui, ce n'est pas ravioli, c'est poésie (oui, élevons un petit peu le niveau de ce blog).

Il y a un type de poésie japonaise que j'apprécie tout particulièrement et que j'aimerais vous faire mieux connaître : c'est le haïku.

Faire un haïku, c'est un peu comme prendre une photographie et immobiliser dans une image un instantané du réel - mais sans qu'on n'ait besoin d'appareil photo : au contraire, il suffit de quelques mots. Et quand je dis "quelques", c'est vraiment pas beaucoup : formellement, un haïku se compose seulement de dix-sept syllabes, réparties en trois lignes comportant respectivement 5, 7 et 5 pieds. En termes techniques, disons qu'il s'agit d'un monostique de trois mètres syllabiques, c'est-à-dire d'un poème d'un seul vers (et non pas d'un tercet à proprement parler).

Exemple :
Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu'elle est près de sa fin

Ça ne fait pas 17 syllabes me direz-vous ! Mais c'est qu'il s'agit d'une traduction du japonais. C'est un haïku du maître du genre : Basho Matsuo (1644 - 1695) .

Pour écrire des haïkus, il faut oublier tous les codes de la poésie occidentale :
- pas de rime, et encore moins des alexandrins à la Racine ;
- pas de métaphore : il s'agit de faire revivre l'instant présent ou le souvenir nostalgique du passé à travers son évocation directe, et non par le détour d'images décalées. En revanche, la comparaison et l'analogie sont autorisées ;
- pas de narcissisme ni de lyrisme exacerbé centré sur le Moi, comme chez les Romantiques : le haïku est avant tout une évocation de la nature, et en particulier des marques des saisons. Il s'agit de chanter un instant de la nature et de porter l'attention sur un aspect météorologique. Pour cette raison, les haïkus sont souvent classés par saison dans les anthologies. L'évocation de la nature peut être une façon de présenter, par ricochet, ses propres émotions - nostalgie, tristesse ou gaieté... - ressenties à l'occasion d'une balade par exemple.

Plus ouvertement, le haïku est l'occasion de partager toutes les petites choses du quotidien, quand bien même celles-ci seraient tout à fait banales : les petits soucis ou les petites joies de tous les jours. Le haïku, c'est l'art de la simplicité - ou du moins de l'apparence de simplicité.

Exemple :
Dans l'eau que je puise
scintille le début
du printemps
(Ringaï)

Il ne faut pas chercher de sens caché dans les haïkus. Ce ne sont pas des aphorismes énigmatiques et ils ne sont pas censés contenir une vérité mystique, quoi qu'en dise Roger Munier dans un vieux bouquin trouvé à la bibliothèque de Paddyville (Haïku, préface d'Yves Bonnefoy, Fayard, 1978). Au contraire, les auteurs de haïkus ne se prennent pas trop au sérieux :
Pas plus tôt rasé
mon crâne qu'une volée de mouches
vient y trottiner
(Issa)

C'est le cas en particulier pour les senryû qui sont des poèmes satiriques et moqueurs dont la règle première est l'humour. Dans un senryû, on use et abuse de l'espièglerie et de l'effronterie pour se moquer en toute impunité (et en seulement 17 syllabes) de quelqu'un dont on ridiculise les travers.

Exemple :
La femme étant sagace
impossible de lui vendre les feuilles d'automne
(Anonyme, XVIIIe siècle)
Dans le senryu, les 17 syllabes peuvent être inégalement réparties.

Bref, écrire des haïkus, c'est quand même pas compliqué. Du coup, je me suis transformé en haïkeur fou et je me suis mis à tranformer chaque événement de ma vie trépidente de mouton d'appartement en mini-poème.

Par exemple, un haïku en forme de bulletin météo pour parler du temps pourri qu'il y avait ce matin :
Ciel gris sans nuage
immense horizon sans fin
au cœur de l'hiver

Un autre haïku de 17 syllabes pour dire comment a dû finir le bouquet ramené par Maître Moun, une semaine après son arrivée dans la maison :
Tulipes fanées
Les pétales sont tombées
Jetons le bouquet

Et puis aussi un haïku pour immortaliser ce grand moment d'émotion lorsque le ninja tigré a eu l'idée l'autre soir de faire l'ascension du lampadaire halogène :
Le chat a sauté
sur la lampe halogène
pouf et patatrac

Ou encore, un petit haïku vécu dans ma chair de mouton après une rencontre inopinée avec le fameux ninja :
"Brout", dit le mouton
"Miam", dit le chat le voyant
"Brrr", répond l'ovin

C'est à vous maintenant. J'attends vos haïkus, amis poètes !


Pour creuser la question :...et pour se la péter en société, une jolie phrase d'Yves Bonnefoy sur la philosophie du haïku :
"Le haïku n'a pas d'ombres portées, les choses y étincellent, les nocturnes comme les diurnes, à la façon dont le trait, dans un lavis de l'époque, traverse le contour même qu'il trace, ressort de l'autre côté de la forme, dans le vide, en fait jaillir dans l'image une lumière sans source qui y consume le lieu, même si celui-ci a paru, comme chez Bashô avec sa qualité d'absolu." (Haïku, op. cit., page XXXV)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très instructif tout ça !

Anonyme a dit…

Moi j'en ai un :

*Gaêl a la mononucléose,
et pas le VIH,
le test est positif.

Voilà mon haiku inventé en cours de SVT
MDR