mardi 26 août 2008

Ovinades

L'ami Roddy, mon honorable compatriote, m'envoie une carte postale de ses vacances en Angleterre et m'écrit : "Ici, c'est le pays des moutons !" Que nenni ! Le pays des moutons, c'est la Hollande ! Si, si, je vous assure, je n'ai jamais vu autant de camarades ovins au kilomètre carré que lors de mes vacances dans les bas pays. Vous ne pouvez pas imaginer comme j'étais ravi de pouvoir enfin rencontrer les miens. Nous avons ainsi pu partager nos impressions ovines et deviser avec enthousiasme de nos préoccupations habituelles, inaudibles aux bipèdes : le croustillement sous la dent de la verdure des pâturages, les techniques de démêlages des noeuds dans les poils, les vils désirs des humains qui ne cherchent qu'à nous transformer en pulls, en fromages, ou pire en ragoût...

Une de mes rencontres de vacances a, sur ce propos, poussé très loin la réflexion et m'a parlé de sa thèse de troisième cycle sur la métempsychose du mouton qui, d'animal de chair, devient boule de gouda. Il a fallu à ce brillant mouton des années d'observation et d'expérimentation pour bien analyser le processus de transformation chimico-psychique. Le voici ci-dessous à l'oeuvre, avec son fidèle stagiaire : Selon cet éminent savant, l'âme du mouton est transfigurée dans le fromage et, lorsque vous croquez dans du gouda ou de la mimolette, vous réincarnez sous votre dent le principe spirituel du mouton qui en est à l'origine. Ces thèses mériteraient d'être davantage connues, je vous le dis !

En revanche, un des collègues de ce chercheur n'a pas eu la chance de finaliser ses propres recherches. Celui-ci étudiait en effet la métempsychose du principe psychique du mouton en principe carné. Il était bien avancé dans ses thèses, mais hélas il est tombé sous la lame de couteau d'un boucher et a fini tout droit dans l'assiette d'êtres humains sans scrupules. Parmi ceux-ci, il y avait mes deux Français de maîtres. C'était dans une auberge renommée (Catharina Hoeve) de Texel, île de la Hollande septentrionale de la mer des Wadden. Mes maîtres ont été sans pitié et ont dévoré en toute animalité six côtelettes à eux deux. Triste tableau de la gourmandise humaine...


Voyager est toujours l'occasion de rencontrer des gens différents, ayant d'autres coutumes, mais aussi d'autres visages. Ne croyez pas que je sois raciste. Non, je suis très tolérant avec toutes les races. Mais laissez-moi avouer que j'ai croisé en Hollande beaucoup de moutons... disons, bronzés. Etaient-ils immigrés africains ? Je ne sais pas, car quand j'ai voulu discuter avec eux, ils m'ont regardé d'un air ahuri. En tous les cas, je peux confirmer que ce n'était pas des sans-papiers arrivés clandestinement en cargo sur les côtes du Nord, car ils portaient tous une immatriculation audiométrique :

Autre caractéristique des moutons hollandais, c'est l'extrême coquetterie de la gente féminine. J'ai ainsi croisé une belle qui, visiblement, venait de se faire faire un brushing chez le coiffeur. Avec ses cornes délicieusement torsadées et sa fourrure laineuse, elle était à croquer (sans mauvais jeu de mots avec les côtelettes ci-dessus). Je lui aurais volontiers compter fleurette en détour d'un champ, mais mes maîtres étaient trop pressés sur leurs vélos pour qu'ils daignent s'arrêter et me laisser dévoiler mes charmes dévastateurs de séducteur.
Malgré le rythme haletant de cette expédition à bicyclette, mes maîtres m'ont permis d'admirer quelques oeuvres artistiques. Vermeer et Van Gogh peuvent aller se rhabiller. Rien n'est plus prodigieux en matière artistique que cette sculpture ovine sur laquelle j'ai eu la fierté de poser :
Si les moutons hollandais peuvent s'avérer de grands scientifiques et de grands artistes, ce n'est pas vraiment le cas dans le domaine sportif. Aux dernières olympiades, ils sont tous arrivés derniers. Pour exemple, voici les candidats hollandais au semi-marathon, aux derniers J.O. (= Jeux Ovins) :
Ils avaient dû faire une pause en chemin, semble-t-il ! C'est là qu'on voit les ravages du dopage à l'herbe verte (aussi répandue dans les prairies hollandaises que le cannabis à Amsterdam). Il est temps que le comité ovimpique mette un terme à ses pratiques douteuses...
Car, sachez-le, la drogue a un effet dévastateur sur les malheureux moutons qui s'y adonnent. J'ai ainsi surpris dans un champ toute une famille de moutons se livrant à un comportement inquiétant. Avaient-ils perdu la tête et la cherchaient-ils dans une mangeoire ? J'espère pour eux qu'ils seront parvenus à y retrouver leur esprit.

De mes vacances hollandaises, je garde globalement le souvenir de belles rencontres. Mais l'une d'elles devrait particulièrement marquer mon proche avenir. Mes maîtres ont en effet eu l'idée saugrenue d'adopter un nouveau mouton en peluche. Il s'appelle Tex. Il est brun, a le poil tout doux et le regard d'une intelligence peu acérée. Geisha Line l'a déjà apprivoisé et le prend pour sa nouvelle mascotte. Je redoute un peu les tête-à-tête que je vais devoir passer avec lui. Quoi ?Non, je ne suis pas jaloux !
Mais je suis bien content que Mina, le Ninja, revienne la semaine prochaine de ses vacances. Je pense qu'elle saura lui remettre les idées en face !

dimanche 24 août 2008

Le retour des champions

Nous voici de retour en France, dans notre home sweet home. Y'a pas à dire, ça fait quand même du bien de revivre comme des êtres civilisés : ne plus avoir à ramper pour entrer dans la tente, ne plus se réveiller sous la pluie en se disant qu'il va falloir traverser le camping entier pour faire son petit pipi, manger autre chose que des sandwichs au gouda... et j'en passe ! Demandez à Moun : il ne se fera pas prier pour raconter les aléas de la dure vie de campeur en bicyclette (ou de cycliste en camping) !

Malgré tout, on a déjà la nostalgie des vacances. C'est vrai qu'on a eu presque tous les jours de la pluie et que les K-way sont devenus notre seconde peau, mais les Pays-Bas sont vraiment une super destination de vacances pour ceux qui, comme nous, aiment la nature et les grands horizons. L'objectif de notre périple était de nous vider la tête et cela a été 100 % réussi. Il faut dire que le vent a soufflé si fort dans nos oreilles que toutes les idées noires qu'on pouvait avoir au départ de Paris se sont forcément envolées très très loin !
En voici un petit aperçu (avec la voix off de Maître Moun) :


Sans exagérer, la Hollande est le pays de rêve pour les cyclistes. Là bas, tout est prévu pour les vélos et les pistes cyclables sont aussi bien balisées que les autoroutes. Nos vélos ont pris à plusieurs reprises le bateau, ont emprunté des digues fendant la mer, ont traversé des dunes bossues et broussailleuses, ont roulé entre les champs et les pâturages de moutons. A dire que la Hollande est un pays tout plat, on croirait que c'est un pays ennuyeux. Mais bien au contraire, nous avons découvert des paysages variés et tranquilles.
La campagne avec quelques moulins au loin...

... le plus souvent remplacés par des éoliennes

Les dunes sur lesquelles j'ai joué aux montagnes russes

Des maisons de couleur aux grandes fenêtres, dans lesquelles on aurait envie de s'inviter

La route de la Mer du Nord - la LF1 - est une voie royale pour les cyclistes. Geisha Line est déjà prête à repartir sur celle-ci pour de prochaines vacances : pourquoi pas longer la côte de la Mer du Nord plus au Nord, au Danemark, puis en Suède et en Norvège ? Geisha Line a un an pour convaincre Maître Moun... c'est une autre histoire !

Résultat de nos 13 jours de vacances :
- plus de 600 km parcourus sur les vélos (quand même !)
- 4 ou 5 crevaisons : toujours sur la roue arrière du vélo de Geisha Line, à cause d'un mauvais clou dévastateur à Paris, sur la route pour aller à la gare (grrrrrrrrr !!)
- un bronzage top mode : le haut des mains ultra bronzé, et les doigts tout blancs, ainsi que tout ce qui ne dépassait pas des vêtements (à la piscine, mes maîtres devraient faire fureur !)
- des baignades dans la mer qui n'ont pas excédé une profondeur de 5 cm
- des dizaines de photos de moutons, et puis aussi de vaches, de mouettes, de canards, de chevaux... Hélas, on n'a pas vu les phoques qui sont réputés habités au bord de l'île de Texel.
- 1 restaurant japonais à Amsterdam (cherchez l'erreur).
- 1 château de sable construit :
... bon, d'accord, c'est pas vraiment moi qui l'ai fait,
mais le gagnant d'un concours de châteaux de sable sur le thème Disney !


- de nouveaux mots appris, dans cette langue imprononçable qu'est le néerlandais :

"Fietspad" : le mot à connaître quand on a un vélo. Ça veut dire "piste cyclable" bien sûr !

J'ai pris des notes lors de nos aventures à bicyclette. Dès que j'aurai un moment, je vous transcrirai tout ça (même si je ne suis pas sûr que ça intéresse grand monde !). En attendant, je vais laisser mes maîtres rêver encore un peu des paysages de grand vent, avant de reprendre le boulot demain !


lundi 18 août 2008

Depuis le grand Nord

Salut les amis !

Mes maitres se sont enfin arrêtés de pédaler une journée et, sur mes supplications effrénées, m'ont emmené dans un cybercafé ! Pardon s'il n'y a pas tous les accents, mais les Hollandais utilisent des claviers QWERTY et je ne retrouve pas mes habitudes françaises !


Je vous écris d'une petite ile située tout au nord des Pays-Bas. Ça s'appelle Texel et c'est le paradis des moutons. On ne voit que des camarades qui broutent dans les champs... ou qui finissent dans l'assiette de mes maitres (qui ont dévoré de grosses côtelettes hier au restau !)
Après un léger, mais persistant, mal de fesses les premiers jours, Geisha Line et Maitre Moun sont contents de leurs vacances. Imaginez : il y a autant de pistes cyclables que de routes, si ce n est plus. Alors mes maitres s en donnent a coeur joie sur leurs vélos : ils pédalent entre les dunes (ça monte et ça descend), les pâturages ou les champs de fleurs (sans fleurs helas, ce n est pas la saison). Depuis Bruges, ils longent la Mer du Nord qui les accompagne fidèlement et sauvagement (y a pas grand monde sur les plages !) Il y a quelques jours, avant d atteindre La Haye, ils ont affronte une belle tempête : un vent force 8 qui leur a permis d'avaler les kilomètres sans donner de coups de pédales. Car heureusement, le vent était dans le bon sens !


Bref, nous avons roulé jusqu'à maintenant 430 km et nous avons atteint le bout de notre superbe route LF1. Les jours prochains, nous allons redescendre vers Amsterdam. On n'est pas pressé que les vacances se terminent, même si le temps n'est pas au beau fixe comme aujourd'hui !

vendredi 8 août 2008

Avec le vent du nord qui vient s'écarteler

Tout d'abord, accompagnons ce billet d'une bande son. Voilà, cliquez ci-dessous pour vous mettre dans l'ambiance :


Découvrez Jacques Brel!


Il s'agit d'une des plus belles chansons de Jacques Brel : "Le Plat pays", composée en 1962. Evidemment, là il s'agit de la version flamande, histoire d'aller un peu plus loin dans le dépaysement : Mijn vlakkle land.

"Des vagues de dunes pour arrêter les vagues" et "de vagues rochers que les marées dépassent" : c'est dans ce paysage de sable et de vent, au bord de la mer du Nord, que mes maîtres vont faire rouler leurs bicyclettes. Les Moun partiront de Bruges, en Belgique, et, si tout va bien, ils arriveront une dizaine de jours plus tard à Amsterdam (où les marins "se mouchent dans les étoiles"), après avoir longé toute la côte et traversé les dunes et les brumes du plat pays.

Nous allons emprunter une bonne partie de la "Noordzeeroute", nommée aussi "LF1", longue voie cycliste de 470 km qui rallie Boulogne-sur-mer à Den Helder. Voici, en gros, notre itinéraire :

Et puis, voici l'effet que le vent du Nord devrait avoir sur notre joyeuse équipe :(Vous comprenez, n'est-ce pas, pourquoi j'ai pris "option broutage" au Bac, et pas "option arts plastiques" ?)

Geisha Line a eu la flemme de comptabiliser le nombre de kilomètres : ça fera 350 km environ, peut-être moins (mais sûrement plus). Maître Moun est en train de finaliser la partie technique et de préparer les vélos.

Nous voici donc dans les derniers préparatifs. Et on se pose pleins de questions métaphysiques, dont la plus grave est celle-ci : comment tout faire entrer dans nos 4 sacoches ?

Rien que les matelas, duvets, et bien sûr la tente, cela occupe l'essentiel de nos bagages :

(Un intrus s'est glissé dans cette photo).

Pour la nourriture, on achètera sur place, bien entendu. Mais il y a les plats chauds, grands classiques de la rando : soupes et nouilles cuisson rapide. Vivent les Japonais qui ont inventé quantités de produits hyophilisés légers et faciles à préparer !

Et ça, c'est le matériel du Maître Moun, fils caché de Mac Giver. Fil, boussole, lingettes, papier toilette... en cas de pépin, nous serons sauvés par la débrouillardise de Moun qui, avec quelques ustensiles, saura nous inventer des situations les plus ardues !
Bon, y'a plus qu'à tout mettre dans les sacoches ! Avant cela, il va falloir déloger la propriétaire de cette patte blanche qui, malgré ses aspirations aventurières, ne fait pas partie du voyage !

On part dimanche, mais pas sûr que j'ai le temps de vous envoyer un dernier post, tant il reste de choses à faire ! Si Geisha Line a la folie d'emmener son Eeee-PC tout beau dans les bagages, je vous retrouve probablement très bientôt. Sinon, ben, à dans 15 jours !


Allez, une dernière chanson du Grand Jacques pour patienter et penser à la dernière étape :


Découvrez Jacques Brel!

jeudi 7 août 2008

Lève la tête, t'auras l'air d'un coureur !

Il y a un truc que mes maîtres aiment bien, c'est... Non, pardon, je me trompe ! Rectificatif : il y a un truc que Geisha Line aime bien et que Maître Moun est OBLIGÉ de bien aimer, c'est... le vélo !
Deux roues, quelques coups de pédales, une petite route de campagne, et roule ma poule, le vent dans les cheveux et la liberté au bout des talons ! Même moi, j'y ai pris goût. Il faut dire que je n'ai pas le choix, étant donné qu'on me trimballe partout, au péril de ma vie. Heureusement, je suis résistant. Ainsi, regardez comme j'ai encore l'oeil pétillant et le poil luisant, au bout de mon 200e kilomètre sur le Canal du Midi :J'étais un peu moins pomponné lorsque j'ai cyclo-randonné sur le canal latéral à la Garonne, de Toulouse à Bordeaux... mais ça, c'est une autre histoire (à lire ici) !
Bref, si vous connaissez un peu mes maîtres, vous savez qu'ils ne conçoivent pas de vraies vacances sans une bonne dose de masochisme. Pour eux (enfin pour Geisha Line ET pour Maître Moun qui, je le rappelle, y est OBLIGÉ), si t'as pas 15 kg sur le dos et si tu te cailles pas dans ton sac de couchage à 2 000 mètres d'altitude quand gronde l'orage, t'es pas vraiment en vacances. Alors, à pied ou en vélo, il leur faut faire au moins une petite semaine de randonnée dans l'année pour avoir l'impression d'avoir rechargé leurs batteries.

Alors, s'ils sont si fans de vélo, pourquoi n'ont-ils pas essayer la bicyclette au Japon ? C'est tout d'abord qu'en trois semaines, on ne peut pas tout faire et il faut bien faire des choix. Et puis, il faut l'avouer, début avril, quand il y a de la pluie et qu'il fait encore froid, ce n'est pas (encore) la saison la plus idéale pour s'essayer au vélo dans un pays inconnu.
Mais, en bons cyclistes (amateurs), les Moun ont observé les Japonais sur leurs vélos. Plusieurs constats :
- Les Japonais se déplacent beaucoup à vélo. On pourrait avoir de Tokyo l'image d'une mégalopole dominée par la dictature du pétrole et surchargée par la pollution des moteurs de voiture. En fait, pas vraiment. Il y a beaucoup de vélos à Tokyo et dans les autres grandes villes du Japon. C'est un mode de transport alternatif à la voiture, plébiscité par un large éventail de la population. On a vu des gens de tous les âges sur des vélos.
- Les Japonais roulent sur les trottoirs et pas sur les routes. Ça, c'est le point noir des villes. Imaginez : innocent piéton, vous flânez tranquillement dans la rue, quand tout à coup vous voyez arriver sur vous à vive alors un cycliste qui a décidé que le trottoir était pour lui. Panique ! Panique pour vous, mais pas pour le cycliste japonais qui, au volant de son guidon, a oublié les lois de la politesse dont il est pourtant généralement si respectueux. Rouler sur le trottoir au Japon n'est pas une effraction, comme en France, mais une règle du code de la route. Certes, c'est moins dangereux pour les cyclistes... mais pas vraiment pour les piétons !
- Le vélo japonais de base possède une grosse béquille de forme rectangulaire au-dessus de sa roue arrière, ce qui lui permet de s'arrêter où il veut. La béquille n'est pas un gadget facultatif, mais un accessoire essentiel du vélo. A cela s'ajoute le fait que les vélos nippons ont généralement leur propre cadenas intégré (un petit système de fermeture au niveau de la roue) : les vols étant rares, nul n'est besoin de chercher un arbre ou un poteau pour accrocher sa bicyclette. On baisse la béquille, ferme le cadenas, et voilà, on est garé ! Sauf qu'en pratique, il semble que ce soit plus difficile. Les parkings à vélos ne sont pas assez nombreux. Mais, comme l'explique Sophie sur son blog, les policiers n'hésitent pas à verbaliser (et à emporter le véhicule) lorsqu'ils voient une bicyclette mal garée.
Assurément, ce type de parking à vélos, entièrement mécanisé, dont j'ai trouvé la vidéo sur le net, n'est pas si courant. Dommage, ça me plaît bien, moi, ce système !

Tout ça pour dire que les Moun n'ont pas fait de vélo au Japon. Ils se sont simplement contentés de lire le récit de cet intrépide cycliste qui a découvert le Japon sur son vélo (chapeau, collègue !).
Mais pour les prochaines vacances, qui commencent demain soir, mes maîtres n'oublieront pas cette fois-ci leur bicyclette. Mais où donc vont-ils se rendre avec leurs vélos ? Vous le saurez au prochain épisode, patience...

mardi 5 août 2008

Combien de temps dure un souvenir ?

Sakura rose dans la forêt de Koya-San (16 avril 2008)

Combien de temps dure un souvenir ? C'est la question que je me pose régulièrement depuis maintenant plusieurs semaines. Les souvenirs sont fragiles. Ils se cassent et s'effacent. Et puis aussi s'émoussent et s'effilochent.

Au tout début, pourtant, ils sont presque aussi forts que la réalité. Il suffit de fermer les yeux et de retourner son regard vers soi-même, et voilà le passé qui devient présent : on sent tout, on voit tout, on entend tout comme avant. Le parfum délicat du miso qui se désagrège dans le bouillon, les fleurs de cerisier qui virevoltent dans le ciel bleu, la petite musique entraînante du métro. Ce sont des souvenirs, déjà, mais c'est là, vivant en nous, si présent qu'on en oublie facilement le calendrier et qu'on pourrait presque croire qu'hier est encore aujourd'hui.

Puis, le temps passe.

On ne sait plus très bien. On mélange les jours, transforme les visages, oublie les noms des lieux. Il faut regarder ses notes écrites sur place. Il faut observer les petits détails sur les photos. Quand on en parle, on dit "Comment c'était déjà ?" Et l'autre répond, un petit peu excédé : "Mais si, tu sais bien voyons !" Le souvenir se perd. L'oubli gagne du terrain. On aimerait que le présent soit encore là. Mais non, ce n'est pas possible, on le sait bien. Lorsque ce sont des souvenirs malheureux - lorsque c'est cette douleur sourde et grise qui, parfois, vous est tombé dessus -, on est soulagé de voir que le temps a fait son travail d'effacement. Ce qui semblait pour la vie insupportable au moment où on le vivait est devenu, au fil des temps, une minuscule trace indélébile, un point dans le passé qui, certes, rend triste, mais ne fait plus aussi mal. C'est comme ça pour les mauvais souvenirs : ils s'effacent. Alors pourquoi ce ne serait pas de même pour les bons souvenirs ?

Puis, le temps passe encore.

On sait bien que c'est inéluctable : le souvenir, bientôt, ne sera plus qu'un vague mirage. Mais pour retarder l'usure inévitable, on essaie de prolonger le passé dans le présent. Les après-midi où le ciel est un peu gris, on sort la boite de thé vert ramenée du Japon et on jette quelques pincées de feuilles séchées dans la petite théière bleue. Le plateau rond, les deux petites tasses, la jolie pâtisserie sur un papier de couleur... voilà, on se croit à nouveau là-bas. Ici ressemble à là-bas. Aujourd'hui ressemble à hier.
Mais bientôt, le nouveau rituel devient une habitude. Quelques après-midi plus tard, après plusieurs tasses dégustées, le thé vert n'a plus le goût de là-bas. Il a le goût d'ici. Celui de la tasse vite avalée au bureau, devant l'ordinateur du travail. Ou bien celui de la tasse du soir, qu'on laisse refroidir sur la table du salon, tandis que les images de la télévision défilent sans qu'on les regarde vraiment. C'est trop tard. On a oublié le goût du thé vert du Japon, bu à l'arrivée au ryokan.

Les souvenirs s'usent. Pourtant, à force de les regarder revivre dans mes mots, j'ai cru qu'ils s'useraient un peu moins vite. Mais non. Quatre mois après le retour de mon voyage, je me souviens des jupes courtes des Japonaises sur leurs bas noirs, des cris des singes dans les arbres du mont Misen sur l'île de Miyajima, du regard complice du chef sushi de Yudanaka lorsqu'il a apporté sur notre table un poisson vivant cuisiné, ou encore des fleurs roses tachant le ciel blanc d'Obuse. Mais ce ne sont plus que des images qui, au fil des semaines, deviennent un peu plus abstraites, tant elles se détachent inextricablement de la vivacité des sensations qui sont à leur origine. Je me souviens d'avoir un jour vécu tout cela. Mais je n'en porte plus la marque dans mon corps. Le souvenir n'est plus qu'une conscience fragile du passé, et non plus une présence immédiate et sensible. Du passé, je ne garde plus que quelques images imprécises, qui ne sont plus accrochées aux sensations des parfums, des musiques et des couleurs.

Alors, si le souvenir a une durée limitée, que doit devenir ce blog ? Doit-il s'émousser, lui aussi ? N'a-t-il plus de raison d'exister, sinon dans la perspective d'un prochain voyage qui, peut-être, ne sera jamais qu'un hypothétique rêve ?

Mais les rôles que chacun a pris dans ce blog nous plaisent bien et on n'a pas vraiment envie de les abandonner. J'aime être le mouton savant et philosophe qui, en triturant ses souvenirs, paraphrase saint Augustin dans le livre XI des Confesssions (si, si !). Geisha Line aime être l'inspiratrice invisible qui se cache derrière l'écran. Maître Moun aime être le plus fidèle lecteur qui, le soir, découvre avec surprise une nouvelle page. Quant à Mina, son rôle de méchant ninja lui va bien - elle nous le montre tous les jours à coups de griffes (hélas).

Comme on n'a pas envie de continuer de secouer des souvenirs effilochés et de vivre dans le passé, et qu'on n'a pas envie non plus d'arrêter d'écrire, il est possible que "Paddy au Japon" se mette à parler de plus en plus souvent d'autres choses que du Japon. Si vous êtes un lecteur indulgent, vous nous pardonnerez nos hors-sujets. Vivre au présent, c'est bien aussi, vous ne croyez pas ?

Thé vert du soir au ryokan de Bessho Onsen (5 avril 2008)


vendredi 1 août 2008

Le vrai shabu-shabu

Avant de partir au Japon, Maître Moun, le grand chef cuisto de la maison, s'était essayé au shabu-shabu, cette fondue Bourguignonne à la mode japonaise (souvenez-vous, c'était lors de la visite de mon pote Roddy !). Ce n'était pas mauvais du tout (non, pour être honnête, c'était même très bon !), mais cela ne nous semblait pas vraiment très japonais. Le hasard en cuisine est parfois bon conseiller, mais il inspire des plats personnels et pas vraiment traditionnels.
Vous comprendrez facilement qu'une fois au Japon, mes maîtres ont voulu essayer le vrai shabu-shabu. Ils ne se sont pas précipités sur le premier restaurant venu, d'autant plus que si la nourriture est bon marché au Japon, ce n'est pas vraiment le cas du shabu-shabu (sans doute parce que c'est un des rares plats à base de viande). Ils ont donc pris le temps de dégoter un restaurant qui mériterait l'entaille faite au porte-monnaie. Et un soir, en se promenant du côté du quartier de Pontocho, à Kyoto, ils ont trouvé LE restaurant qui leur ont tapé dans l'oeil !
Le voici :
Il s'agit d'un restaurant qui borde la célèbre rivière aux canards, la rivière Kamo. La façade est entièrement composée de grandes fenêtres et les clients peuvent manger tout contre la baie vitrée, comme s'ils étaient dehors.
Voici d'autres photos pour mieux se donner une idée de la vie dont on bénéficie :
Mes maîtres ont pris place au deuxième étage, assis à la japonaise devant une grande table basse.
Ils ont commandé leur shabu-shabu. Lentement, la serveuse en kimono a disposé sur la table chaque matériel et chaque met - le réchaud, le pot à sauce, les légumes, la viande... Maître Moun et Geisha Line, comme souvent, ne savaient pas trop comment il fallait s'y prendre : dans quel ordre tremper quoi, etc. Quand ils ont demandé à la serveuse, elle a eu l'air paniqué et, ne parlant pas un seul mot d'anglais, elle s'est mise à faire pleins de gestes. Cela a fait rire de jeunes Japonais qui se trouvaient à la table d'à côté qui, du coup, leur ont aidés à traduire.
Ce n'était peut-être pas le meilleur restaurant de shabu-shabu de la ville (car l'endroit est très touristique), mais mes maîtres se sont tant régalés qu'ils n'ont pensé qu'à faire une pauvre petite photo de leur plat !

C'était un shabu-shabu de printemps. Si mes maîtres l'avaient pris en été, comme en ce moment, ils auraient pu le déguster à la belle étoile, car, comme le racontent ceux qui l'ont expérimenté, aux beaux jours les restaurateurs ouvrent les terrasses le long de la rivère, en installant des pilotis, pour permettre aux clients de profiter au mieux de la belle vue.

Jack London version nippone

Quand il fait chaud comme en ce moment, l'idéal serait de pouvoir grimper au sommet d'une montagne et, à 2 500 mètres d'altitude, profiter un peu de l'air pur. Seulement, ce n'est pas possible pour moi, pauvre mouton citadin, arraché à ses alpages. Ma maîtresse a essayé de compenser ma vie en appartement en me posant tout en haut du frigo laissé ouvert... Mais, quand même, ce n'est pas pareil !

Alors, à défaut de grands horizons, pour me rafraîchir, le seul moyen que j'ai trouvé, c'est de lire un manga dont les histoires se passent dans les montagnes du Grand Nord. C'est le cas de l'album de Jirô Taniguchi (toujours lui), intitulé L'homme de la toundra et sorti en France en 2006 chez Casterman. Ce recueil rassemble six nouvelles dont le thème unificateur est la nature et les rapports que les hommes entretiennent avec elle. Qu'il s'agisse du Grand Blanc et des vastes étendues couvertes de neige de l'Alaska ("L'homme de la toundra", "Le grand ouest blanc"), ou de la Grande Bleue et de l'immensité de l'océan ("Kaïyosé-Jima, l'île où accostent les coquillages", "Retour à la mer"), à chaque fois c'est une nature sauvage et parfois cruelle qui ne se laisse jamais totalement dompter à laquelle viennent se confronter les héros. La nature décrite est toujours grandiose, dessinée avec beaucoup de réalisme (bien que je ne pense pas que le mangaka ait déjà mis les pieds lui-même dans l'Antartique). La nature protège ou met à l'épreuve. Elle révèle l'homme à lui-même, comme ce chasseur d"ours ("matagi") qui, combattant le vieil ours qui a tué son fils plusieurs années auparavant, parvient dans le face-à-face à surmonter sa culpabilité et à accepter le destin que la nature a dessiné pour lui.

Les deux premières nouvelles sont particulièrement frappantes et font des allusions directes à l'univers de Jack London. "Le grand ouest blanc" est librement inspiré de Croc-blanc : les dessins de la meute de loups et de la chienne-louve séductrice donnent des frissons, révélant la faiblesse des hommes face à la force naturelle des bêtes sauvages.

"L'homme de la toundra" est également un hommage explicite à Jack London, puisque c'est lui qui est désigné comme le personnage principal. Dans le Klondike, des chercheurs d'or se retrouvent prisonniers d'une tempête. Ils sont miraculeusement sauvés par un vieil indien qui leur raconte la légende, quasi surnaturelle, du grand élan blanc. Le vieil Indien apprend au jeune Jack qu'il faut aimer la nature et la respecter pour qu'elle vous rende en retour cette confiance. Cette expérience le fait renoncer à conquérir l'or d'une terre qui ne lui appartient pas. La nouvelle se termine par un saut dans le temps : des années plus tard, au Japon, des notes éparses sont retrouvées dans des affaires ayant appartenu à Jack London. S'y trouve une nouvelle inachevée, emprunte de poésie : celle de l'homme de la toundra qui suivait la piste de l'élan blanc.

Le récit de Taniguchi se fonde sur des faits exacts. London a bien été chercheur d'or au Klondike en 1896. Il s'est également rendu au Japon. Les images du manga donnent envie de se replonger dans Jack London. J'ai essayé de trouver quelle est cette nouvelle qu'évoque la bande dessinée. Mais, même dans cette biographique très complète de l'oeuvre de Jack London ou bien sur ce site qui réunit plusieurs oeuvres originales (en anglais) de l'écrivain américain, je n'ai pu l'identifier avec exactitude. S'agit-il de "A l'homme sur la piste" ou de "The league of the old men"? Je n'en suis pas sûr du tout... Si vous avez des infos, je suis curieux !
L'homme de la toundra
Jirô Taniguchi
Casterman
Collection Sakka
2006