jeudi 17 septembre 2009

Une histoire de voyage

Le temps passe vite : voici un autre jeudi déjà. Même si mon pas ralentit et doit ensuite s'accélérer, je continue mon voyage sur le Tokaïdo.
Ce que j'aimerais un jour, c'est écrire une histoire autour de ce voyage dessiné par les estampes d'Hiroshige. Une histoire pour mettre des mots sur ces images. Une histoire pour faire voyager dans le temps et dans l'espace - et puis dans le rêve aussi.
Mais pour le moment, je ne sais pas comment m'y prendre. Mettre mes mots sur ces magnifiques estampes, ne serait-ce pas présomptueux, voire blasphématoire ? Pourra-t-il y avoir un récit à la hauteur de ce merveilleux univers ?
Et puis aussi, plus concrètement, quel lien narratif pourrait lier toutes ces vues et donner au récit une unité ? Il faudrait inventer un personnage - un personnage extérieur qui rencontrerait tous ces voyageurs, toutes ces geishas, tous ces paysans, et, toujours cheminant, observerait tous ces paysages, franchissant des ponts et traversant des rivières.
Ce personnage verrait par la fenêtre des auberges des servantes servir des invités exigeants :
Hiroshige, Sur la route du Tokaïdo
36e relais : Akasaka
"Les hôtesses de l'auberge" (Ryosha shôfu no zu)

... ou bien il regarderait les pauvres gens s'incliner devant la procession d'un riche seigneur :

Hiroshige, Sur la route du Tokaïdo
37e relais : Fujikawa
"Tête de cortège" (Bôhana no zu)


Mais ce personnage-là, ce personnage qui verrait tout ça, jamais on ne le verrait. Il serait simplement un regard, une voix. Un regard et une voix à travers lesquels il faudrait pouvoir réussir à faire entendre le bruit des pas sur le chemin du Japon d'autrefois.


vendredi 4 septembre 2009

Les femmes

Hiroshige - Sur la route du Tokaido
35e relais : Goyu
"Les femmes qui arrêtent les voyageurs" (Tabibito tome-onna)

Qui a dit que le Japon est un pays sûr ? En tout cas, à l'époque d'Hiroshige, voyager ne semblait pas forcément une entreprise de toute sérénité !
Cette estampe est vraiment surprenante. Vous êtes simple voyageur sur le chemin du Tokaido et imaginez deux harpies qui sautent sur vous et se battent pour vous attirer dans vos filets ! Comment réagiriez-vous ? Les deux voyageurs ne semblent pas en mener large. Quant à la geisha sur la droite, elle ne dit rien, mais n'en pense pas moins. Avez-vous vu le mépris qui se dégage de sa posture ? Rien à voir avec la troisième figure féminine, à droite, à la fenêtre de l'auberge. A quoi rêve-t-elle ?
Hiroshige nous offre là une vision bien masculine de la femme. Je récapitule :
- les hystériques
- la hautaine
- la midinette qui attend le prince charmant
- la vieille servante au service de l'homme (la vieille dame près de la cuvette, tout à droite).
Et pendant ce temps-là, que font les hommes ? Les chanceux se font laver les pieds, tandis que d'autres se retrouvent victimes de la folie féminine. Les pauvres.

mercredi 2 septembre 2009

L'île aux chats

Tous les étrangers qui sont venus en avion en Corée ont entendu parler de Inch'on. Depuis presque une dizaine d'années, c'est là que se trouve l'aéroport de Séoul. C'est donc par cette ville portuaire, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, qu'on arrive aujourd'hui en Corée du Sud. Mais autrefois, Inch'on était une île où vivaient des tigres. Les animaux ont aujourd'hui disparu. Seul le nom s'est maintenu : "l'île aux chats". Ainsi que la misère. Ce roman de la coréenne KIM Chugmi (étiqueté "jeunesse" chez Thierry Magnier) décrit la vie des habitants d'un quartier très pauvre d'Inch'on : Kwaengiburi. En lisant les premiers chapitres, j'ai cru que l'histoire se passait dans un temps assez reculé, tant la misère de ce bidonville est terrible et ne correspondait pas à ce que j'avais pu voir de la Corée. Mais il s'agit bien d'une histoire contemporaine.
L'auteur nous invite dans le quotidien d'enfants de ce quartier pauvre : les jumelles Sukja et Sukhui, dont le père est alcoolique et la mère a quitté la maison ; le jeune Tongjun et son frère aîné, Tongsu, qui a de mauvaises fréquentations et "snife" de la colle. Les enfants sont abandonnés à eux-mêmes : cela fait longtemps que les parents ont baissé les bras et ont perdu l'espoir de s'en sortir. Le quotidien est difficile quand on a n'a pas d'argent pour se nourrir et assurer la vie de tous les jours. Tout le début du roman est vraiment difficile. Il semble que le mauvais sort s'acharne sur ces enfants et, bien souvent, je me suis questionnée : pourquoi prétendre que ce roman est pour adolescents ?
Mais au fil des pages, imperceptiblement, la situation change et, au fil de l'année (et des chapitres), l'espoir renaît. Grâce au personnage central de Pak Yongho : ce jeune homme, qui vient de perdre sa mère, rencontre les frères Tongsu et Tongjum et décident de s'occuper d'eux. Tongsu, qui était résolument contre la société toute entière, reprend foi en la vie et en lui-même : et s'il reprenait le chemin de l'école ? Dans ce foyer recomposé, les jumelles, qui traversent un moment difficile, viennent retrouver réconfort, en particulier grâce à un autre personnage adulte qui vient se greffer à la petite famille : l'institutrice Myonghui qui prend conscience du rôle qu'elle a à jouer auprès des enfants. Grâce à la solidarité, la générosité et l'entraide, la détresse paraît oubliée : il est permis d'espérer.
La narration est de facture classique. Une certaine lenteur, beaucoup de descriptions, de nombreux personnages (avec des noms compliqués pour nous !). Mais ce sont justement ces descriptions qui donnent vie au roman. Par cette petite fenêtre, on en apprend beaucoup sur la Corée : le rôle de l'école et la croyance en l'ascension sociale par le travail, les petits boulots pour s'en sortir (éplucher de l'ail en été et gratter des huîtres en hiver), mais aussi la préparation du kimchi, les repas familiaux à base de nouilles chinoises et de soupe, les fêtes traditionnelles... Les portraits des personnages sont toujours pudiques et bien souvent émouvants (en particulier la petite Sukja, timide et généreuse). Je me suis attachée à cette petite famille... et j'ai même eu envie de retrouver la Corée !

L'île aux chats
KIM Chungmi
Traduction de YANG Jung-Hee
Thierry Magnier
Juin 2008