vendredi 12 septembre 2008

17 regards

Initié par Frédéric Boilet (dont j'ai déjà parlé ici et ), l'album Japon à la jolie couverture (de Daisuké Igarashi) offre 17 visions différentes du Japon, à travers neuf récits d'auteurs francophones et huit Japonais ou résidents au Japon. 17 petites histoires qui n'ont de commun qu'un lieu (le Japon) et deux couleurs (le noir et blanc, et toutes les gammes de gris qui en découlent). La visite du Japon commence par le Sud, l'île d'Amakusa au bout du bout du Japon, et remonte de ville en ville jusqu'à l'extrême Nord, à Sapporo, avec une BD d'Etienne Davodeau. Mais, plus que la géographie, ce sont des sensibilités différentes que l'on traverse, de découverte en découverte.

Le projet était ambitieux : inviter au Japon, chacun dans une ville différente, des auteurs de BD et leur donner pour seule consigne de revenir avec une histoire dessinée d'une dizaine de pages, en leur laissant toute liberté du genre et du graphisme. [Note au passage aux éditeurs ou aux membres des alliances françaises du Japon qui, par le plus absolu des hasards, pourraient s'être égarés sur ce modeste site : si vous cherchez quelqu'un à qui payer un séjour au Japon en échange de l'écriture d'une histoire, je suis votre homme mouton !! Dites-moi où je dois signer et je saute dans le prochain avion !]

C'est la multiplicité des regards et la grande variété des styles et des personnalités qui font toute la richesse de cet album. Certains auteurs ont choisi l'autobiographie et racontent avec réalisme et goût du détail leur arrivée sur le sol japonais et leurs surprises face au grand-écart culturel que l'immersion dans le pays leur impose. C'est le cas de Fabrice Neaud, qui publie par ailleurs depuis plusieurs années son journal intime sous forme de bande dessinée. Le regard du Français débarquant au Japon et observant les moeurs étranges des Japonais est aussi donné sur un mode complètement humoristique dans la nouvelle du génialissime Joann Sfar (le père du chat du Rabbin) qui met en scène le personnage de Oualtérou, beauf de première vivant à Tokyo. Côté japonais, le Japon n'est pas évoqué à travers le décalage qu'il inspire, mais donne plutôt l'occasion d'une exploration de ses traditions. Kazuichi Hanawa invente ainsi une jolie histoire autour des statues de Jizô que les mères ayant perdu un enfant revêtent de vêtements. Dans la nouvelle de Taiyô Matsumoto, le style de dessin rappelle parfois celui des vieilles estampes des grands maîtres, ainsi que celui de l'art des lavis à l'encre de Chine qu'est le sumi-e. On retrouve également Jirô Taniguchi (dont je n'arrête pas de parler) qui signe l'évocation d'un amour d'enfance sous un ciel d'été...

J'ai accroché immédiatement à certains univers. D'autres m'ont laissé complètement indifférent. J'ai aimé la sensualité et l'humour d'Aurélia Aurita qui, en remontant le temps, évoque tous les petits plaisirs de son voyage au Japon ("Je peux mourir, maintenant !"). Dans un style différent, on retrouve une sensualité analogue dans la nouvelle du copain d'Aurélia, Frédéric Boilet, dans laquelle l'évocation du passage des éboueurs et de la grande complexité du tri sélectif est l'occasion d'une vraie déclaration d'amour ! (Petit détail amusant d'ailleurs : on retrouve le personnage de Frédéric Boilet à plusieurs reprises dans l'album - dans sa propre nouvelle, puis dans celle de Fabrice Neaud. L'autofiction est partout.)

Ce n'est pas un album inoubliable, bien sûr. Mais c'est pour le lecteur l'occasion de découvrir de nouveaux auteurs et de se voir rappeler, si jamais on en doutait, que tout est perspectivisme et qu'un pays ne se donne à voir qu'à travers la subjectivité de ceux qui le regardent.


Le Japon vu par 17 auteurs
Orchestré par Frédéric Boilet
Casterman
Collection "Écritures"
2005

2 commentaires:

Baiya a dit…

Merci pour ce billet qui va me permettre d'acheter ce nouvel ouvrage de Boilet !

Anonyme a dit…

Ce livre est sorti il y a un petit moment déjà (2005). Il a été réalisé conjointement dans plusieurs langues.
Bonne découverte !