C'est sur ce haïku du poète japonais Issa que s'ouvre le livre de Philippe Forest intitulé Sarinagara. Dès les premières pages, l'écrivain annonce que son roman ne sera rien d'autre que l'illustration du redoublement de cet intriguant dernier mot : "cependant"... "sarinagara" en japonais. Le monde est éphémère comme la rosée qui, au petit matin, vient se déposer à la surface des fleurs. Nous le savons tous. Pourtant... pourtant, même si tout passe et rien ne dure, il y a bien quelque chose qui subsiste et qui dépasse le temps, s'inscrivant dans une durée éternelle. Quelque chose qui ressemble à la beauté de quelques vers calligraphiés dans le cahier d'un poète, à la vérité d'un roman qui entend retranscrire le monde dans sa douleur, ou encore à la gravité de l'image que le photographe a arrêté sous son objectif.
Le roman de Philippe Forest est traversé par cette recherche intellectuelle de ce "quelque chose" qui tient dans un adverbe évoquant la contradiction. Mais il est en même temps d'une grande limpidité, offrant une vision sensible du Japon et de son image fantasmée. La preuve, c'est que j'ai lu ce livre d'une traite, de façon presque aussi haletante que j'aurais pu lire un roman d'aventures.
Ce qui fait l'unité de ce livre, plus proche du poème que du roman, est le Japon à l'horizon duquel est évoquée, sous quatre formes différentes, l'épreuve la plus douloureuse qui soit - celle de la mort d'un enfant. Issa et Sôseki ont en effet tous deux vus mourir un de leurs enfants. Quant à Yamahata Yosuke, au lendemain de l'explosion de Nagasaki, il a immortalisé dans un cliché bouleversant la lueur de vie d'un bébé accroché au sein de sa mère. La mère survivra à l'enfant qui, lui, succombera rapidement à ses blessures.
prise le 11 août 1945, à Nagasaki.
Comment peut-on assister en témoin à l'horreur - les corps carbonisés, les cadavres entassés, la ville transformée en ruines en l'espace de quelques secondes - et, malgré tout, survivre, c'est-à-dire continuer à vivre malgré tout ? Comment est-ce possible ? Comment est-ce supportable ? Telle est la question à laquelle s'accroche Philippe Forest à travers les portraits qu'il dessine des trois artistes et de son expérience japonaise. "Survivre est l'épreuve et l'énigme" (page 345, éd. Folio). Mystère insondable des survivants (je pense au témoigne de Semprun sur son retour des camps de concentration). Tout est néant et pourtant, pourtant, la vie, quand même, l'emporte sur la mort.
Si j'en crois certains critiques, il paraît que Philippe Forest fait des erreurs et se trompe à plusieurs reprises lorsqu'il parle du Japon et fait des commentaires sur la langue japonaise. Je ne sais pas, mais qu'importe. Il ne s'agit pas d'un essai sur le Japon et encore moins d'un ouvrage académique sur les grands écrivains nippons. Peut-être est-ce en cela que ce livre est un roman : il y a dans ces évocations de grandes figures historiques une part de rêve et d'invention. Ce qui compte, c'est la vérité des sentiments transcrits, la sincérité avec laquelle l'écrivain parvient à surpasser sa douleur pour en faire un livre. Parfois, il paraît y avoir chez Forest une obsédante recherche du sens : son désir de trouver partout dans la nature des symboles et des transfigurations de sa souffrance peut paraître désespéré. Et pourtant, pourtant... C'est justement dans ce désir sans fin de sens, dans cette lutte contre l'absurdité du monde, que réside la force de ce livre qui m'a éminemment touché.
Extrait :
- Sur Philippe Forest (Wikipédia)
- Un article sur Sarinagara
- Les photographies de Yamahata Yosuke et des extraits de son journal (en anglais)
Sarinagara
Philippe Forest
Gallimard
2004
Paru en Folio en 2006
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