mercredi 14 mai 2008

Rêver dans un yukata

Avant de partir au Japon, quand elle a effectué les réservations des hôtels, Geisha Line a été étonnée de voir que certains établissements annonçaient qu'ils mettaient dans les chambres, à disposition de leurs hôtes, non seulement du gel douche et des brosses à dents (de piètre qualité en vérité), mais aussi des pyjamas. Des pyjamas ? "Mais comment peut-on savoir d'avance la taille du client ?", se disait Geisha Line avant de mettre les pieds dans un ryokan. Une fois sur place, elle a pu se rendre compte qu'en fait les prétendus pyjamas n'avaient rien à voir avec le vêtement auquel on pense en France. D'ailleurs, il ne s'agissait pas de pyjama, mais très exactement de "yukata".

Le yukata est un kimono léger et simple, en coton. Il est généralement fourni par les ryokans et les établissements de bain, au même titre que les serviettes de toilette. Il se porte particulièrement en été, le soir, pour se balader ou revenir des bains. Bien sûr, quand Geisha Line et Maître Moun ont découvert pour la première fois les yukatas qui les attendaient dans leur petite chambre de ryokan, précautionneusement pliés au-dessous de la ceinture savamment présentée, ils se sont marrés. Ils ont revêtu cérémonieusement leur peignoir japonais et ont mis l'appareil photo en mode retardateur pour immortaliser la scène.
A Tokyo

Mais très vite, ils se sont rendus compte que le yukata dans un ryokan où la salle de bain est collective et se trouve généralement assez loin des chambres, n'était pas du tout un accessoire futile, mais pouvait s'avérer très utile. C'est toujours plus agréable de se promener dans les couloirs avec le yukata de l'hôtel et moins gênant que de revenir de la salle de bains avec son propre pyjama ! Et puis, cela met tout de suite dans l'ambiance - un peu comme si, une fois entré dans le ryokan, on se mettait à vivre le temps d'une nuit en dehors des modes et de leur actualité.

Ainsi, comme ils changeaient souvent d'endroit et qu'ils n'avaient réservé que des ryokans, Geisha Line et Maître Moun ont essayé pas mal de modèles de yukata différents. Beaucoup étaient blancs avec des motifs géométriques bleus marines.
A Tokyo toujours

A la montagne, les yukatas étaient fournis avec une grande veste chaude.
A Nagano

Mais il y avait parfois des variantes, comme au ryokan de Bessho Onsen où le yukata était vert à fleurs, avec une grosse ceinture bordeaux et était accompagné d'une veste nommée haori pour les soirées fraîches d'hiver.
A Bessho


Alors que dans les autres ryokans, la ceinture du yukata était simplement en coton épais, comme dans les kimonos des judokas, dans celui-là, la ceinture (obi) était en tissu, mais bien sûr pas aussi longue que le obi traditionnel du vrai kimono. Geisha Line la nouait comme elle pouvait, mais normalement le noeud doit suivre une procédure précise et être disposé à l'arrière. Pour ceux qui veulent nouer son yukata dans les règles, un petit conseil : allez dans Youtube et tapez "yukata", vous trouverez des tas de vidéos montrant précisément comment revêtir son yukata ! On peut faire des noeud de style papillon (Choucho Musubi) ou boite (Bunko Musubi). En tous les cas, il ne faut pas oublier que le côté gauche doit être sur le dessus (et donc le côté droit en dessous). Dans les ryokans, il y avait le même modèle que ce soit pour hommes ou pour femmes. Mais un vrai yukata féminin est facile à reconnaître : il est généralement très coloré et représente des fleurs, et on trouve une fente verticale dans les manches (furi), au niveau des aisselles (pratique pour s'aérer !).

Je repensais à tout cela hier en lisant un joli petit album d'un auteur dont j'ai déjà parlé, Frédéric Boilet. Dans Mariko Parade, le mangaka français a collaboré avec une jeune dessinatrice japonaise, Kan Takahama. Tous deux ont allié leurs plumes pour raconter, avec lenteur et délicatesse, quelques jours dans l'histoire d'amour entre un auteur de BD et son jeune modèle, venus en repérage sur l'île d'Enoshima. Le prétexte de départ était de rassembler dans un même ouvrage des travaux d'illustrations de Frédéric Boilet parus dans plusieurs albums et revues (dont L'Epinard de Yukiko), en créant une histoire autour de ces dessins épars et en laissant à Kan Takahama le soin de réaliser les dessins intermédiaires. Malgré le côté éclaté du projet de départ, l'ensemble est cohérent et on se laisse très vite séduire par la qualité photographique des dessins de Boilet et l'originalité de leur point de vue, ainsi que par la tendre histoire d'amour qui unit les deux héros tout en les séparant peu à peu...
Je n'en raconterai pas plus. D'autres avant moi l'ont fait (ici ou encore ici par exemple) beaucoup mieux ! Revenons-en plutôt au yukata qui prend une place relativement importante dans ce roman graphique, au point qu'on le retrouve mis en couleur sur la page de couverture :

Le couple loge dans un ryokan et en arrivant dans leur chambre, l'héroïne, Mariko, revêt le yukata mis à disposition. Il s'agit d'un yukata à motifs fleuris, représentant des hortensias bleus. Pour le personnage masculin, le mangaka, l'hortensia est la fleur qui symbolise l'amour éternel... mais ne se trompe-t-il pas ? (je n'en dis pas plus, il faut aller jusqu'à la dernière page pour comprendre). Le mangaka, séduit par la beauté de sa petite amie enveloppée dans son yukata bleu/mauve, lui demande d'aller sur la plage et de prendre la pose sous l'objectif de son appareil photo. Evidemment, comme le yukata est quand même au départ un pyjama, la jeune fille se trouve un peu ridicule sous le regard des passants ! Pourtant, elle est vraiment mignonne sous les traits des dessinateurs...

En revêtant son yukata, qui est un peu usé et dont les motifs sont quelque peu décolorées, Mariko se demande combien de personnes avant elle l'ont revêtu. Voilà donc ce qui m'a laissé rêveur hier soir : j'ai essayé d'imaginer toutes les personnes qui avaient pu s'habiller de ce yukata vert, dont Geisha Line s'était vêtue à Bessho. Combien d'histoires ? Combien de destins ? Combien de rêves, éveillés ou endormis, nés dans les nuits où des corps étaient enveloppés par ce yukata-là ?

Mariko Parade
Frédéric Boilet et Kan Takahama
Casterman, Collection "Écritures"
2003





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