lundi 8 septembre 2008

Dehors c'est dedans, dedans c'est dehors

Les Japonais n'ont pas la même représentation de la dualité extérieur/intérieur que les Occidentaux. Reconnaissons-le, en Occident, on a tendance à édifier des murs, construire des clôtures et se calfeutrer chez soi en affichant un panneau "Défense d'entrer, chat chien méchant". Le mur de ciment vient séparer l'intérieur de l'extérieur et marquer matériellement la limite de l'intimité et de la propriété.
Au Japon, je suppose qu'on ne laisse pas non plus les étrangers pénétrer chez soi. Mais la frontière marquée entre le dedans et le dehors est plus subtile et pas affichée avec la même fermeté possessive des occidentaux. Ainsi, dans les maisons traditionnelles japonaises, en place de fenêtres et de portes, on trouve des cloisons mobiles. Il suffit de faire coulisser l'écran opaque du fusuma et voilà, on est dehors. Il suffit encore de tirer la paroi de papier washi que sont les shôji, et voilà, la pièce a tout à coup rapetissé ou bien au contraire doublé de volume. C'est une conception évolutive de l'espace. Un peu comme le jeu où il faut faire coulisser des carrés pour reconstituer la figure dessinée, il est aisé de changer l'apparence d'une pièce en quelques secondes en choisissant de disposer d'une toute autre façon les parois qui remplacent les murs.

C'est une mise en scène magique de l'espace, quand on y pense. On est à l'intérieur, chez soi, mais il suffit de tirer une cloison, et aussitôt on se retrouve dans un jardin zen. Le dehors et le dedans ne se confondent pas, mais tout en étant dedans on peut être aussi dehors. Joyeux mélange des contraires !
Un fusuma joliment décoré, dans le temple de Koyasan où ont dormi les Moun

Ainsi, quand Geisha Line et Maître Moun sont arrivés à Koyasan, une petite ville de montagne dans la péninsule de Kii, après un voyage interminable (en TGV, train, funiculaire puis bus), ils se sont installés dans la chambre du temple dans lequel ils ont passé deux nuits (rappelez-vous, les drôles de moines qui les ont réveillés par des chants incantatoires un peu étranges). Ils se sont servi du thé vert, se sont installés dans des fauteuils en rotin et ont tiré la mince cloison qui les séparaient de l'extérieur. Ils étaient dans leur chambre, et en même temps dans le joli jardin du monastère, contemplant les arbres délicatement taillés et les pierres savamment disposées.

Pause thé vert et pâtisserie dans la chambre du temple

L'architecture japonaise pose le postulat d'une continuité entre les constructions humaines et la nature : la maison ne vient pas prendre possession du paysage et l'accaparer, mais elle se fond en lui, si bien qu'elle semble être un prolongement du paysage dans laquelle elle a été construite. En ce sens, l'architecture ne coupe pas, mais elle ouvre. N'est-ce pas le meilleur endroit pour contempler l'évolution de la nature à travers les saisons que d'être assis tranquillement dans son le fauteuil de son salon, tout en se situant à l'intérieur même de ce paysage ?
L'entrée du temple de Koyasan

Évidemment, cela suppose une certaine confiance en l'honnêteté humaine. Dans le temple de Koyasan, il n'y avait pas de serrure sur les portes des chambres. Il suffisait de pousser la cloison pour se retrouver dans l'intimité des touristes. Conséquence malheureuse pour les voisins de chambres des Moun : à 6h33, n'étant toujours pas levés pour la prière (obligatoire) de 6h30, ceux-ci se sont vus littéralement tirés du lit par deux moines qui sont rentrés sans vergogne dans leur chambre, les empêchant de choisir le confort du futon aux impératifs de la foi religieuse ! Dur, le réveil !
La porte de la chambre

Autre conséquence purement pratique, là aussi, c'est le manque d'isolation des maisons traditionnelles. Une simple cloison de papier pour fenêtre, cela ne protège pas du froid comme nos bons double-vitrages. Ils devaient se les cailler un peu, les samouraï, dans leurs maisons, il y a quelques siècles !

Quittons le Japon pour revenir à Paris. Geisha Line, qui depuis la semaine dernière a un nouveau téléphone et qui depuis quelque temps a des velléités (pitoyables, avouons-le) de couturière, a cogité ce double concept japonais de dedans-qui-est-du-dehors et de dehors-qui-est-du-dedans pour inventer un nouvel objet : la pochette non-pochette pour le téléphone portable ! (Non, Geisha Line n'a pas fumé d'herbe lors de son passage vélocipédique à Amsterdam).
Je vous explique... Le problème était simple : avec le chat-à-clochette accroché au bas de son portable, ce n'était pas pratique de glisser le téléphone dans sa banale chaussette. Or, comme Geisha Line range tout un tas de fouillis inutiles de première nécessité féminine dans son sac à main, il était indispensable de protéger le téléphone. Geisha Line a donc conçu dans sa petite tête le protège-portable qui enveloppe joliment le téléphone tout en laissant une ouverture pour la clochelette et permettant d'envoyer des SMS sans sortir entièrement l'appareil de sa pochette. C'est assez ténu : le téléphone est à l'intérieur de sa pochette et, en une fraction de seconde, il se retrouve aisément à l'extérieur.

Dedans, le portable (à l'abri des coups de pattes du Monstre)

Dehors, le portable
(accessible aux doux doigts de Geisha Line, mais sans avoir à sortir le chat à clochette)

Maître Moun, juge infaillible, a souri ironiquement quand Geisha Line lui a montré son oeuvre, mais, en bon mari, a tout juste rectifié le tir en affirmant que "Mais si, je te jure, je la trouve super ta pochette, mais tu sais je ne mérite pas que tu m'en fasses une rien que pour moi !" (Geisha Line, pour éviter les scènes de ménage, a préféré ne pas lire entre les lignes de la politesse de cette réplique.)

Les mains gauches de Geisha Line ont des progrès à faire en couture (mais si elles étaient aidées d'une machine à coudre, ce serait mieux). Le soir où la pochette a été cousue, elles ont frôlé la catastrophe sanglante. En effet, quand Mina-le-ninja a vu que Geisha Line faisait des trucs rigolos avec du fil et des aiguilles, elle s'est écrié "chouette !" en langage chat... c'est-à-dire qu'elle a remué une oreille, puis deux, et, toutes griffes dehors, a sauté d'un bond sur l'ouvrage de l'apprenti couturière. Il y a eu quelques cris (humains ou félins, je ne sais pas, je n'ai pas réussi à les identifier). Mais heureusement, l'effroyable a été évité de justesse.
Depuis, pour la survie de chacun, Mina n'a plus le droit d'être dans la même pièce que les aiguilles à coudre. Moralité : pas d'intérieur-extérieur pour le chat qui est consigné obligatoirement à la porte de salon ! Non mais !
Dehors, le chat qui boude, au dedans de sa minuscule boite

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Donc si d'aventure le Maître Moun lisait ce billet - lui aussi depuis son tout nouveau téléphone - il pourrait relever une idée judicieuse d'appareil à offrir pour sa femme à Noël prochain...
Heureusement que Paddy est là pour faire passer les messages ;-)

Geisha Line pourrait alors produire ces fameux étuis en série, après avoir déposé le brevet !
Je propose comme nom le "sotonaka" (Extérieur-Intérieur).

Anonyme a dit…

Sûr que padoule serait très honoré d'être l'un des premiers possesseurs d’un sotonaka !

Anonyme a dit…

Maître Moun par ici ? c'est un miracle !

Le nom de "sotonaka" me plaît bien, c'est adopté ! En revanche, pour que Geisha Line fasse des sotonaka en série, il faudra lui offrir pour Noël une machine à écrire, et pas un téléphone sans touche !

Anonyme a dit…

Joli labsus : "coudre" ou "écrire", telle est la question...

Syven a dit…

On ne voit pas très bien sur les photos :) Mais on admire la prouesse :D
Tu seras contente de savoir que j'ai moi aussi versé un peu de pour coudre le bouton de ton sac ! :D

Anonyme a dit…

Padoule > En effet, docteur Freud, lapsus révélateur : "machine à écrire" au lieu de "machine à coudre", on se demande bien où j'avais la tête !

Syven > Elle est super ta b-eeee-sace ! En plus, il y aura de la place pour m'y caser, à côté du Eee-PC. En espérant que le chat ninja ne décide pas de s'y faufiler !