lundi 23 juin 2008

La Suède au Japon

Ce week-end, mes maîtres se sont rendus à Ikéa. Ils aiment bien aller à Ikéa. Pas seulement pour regarder les meubles, ouvrir les portes des placards de cuisine ou essayer l'assise des canapés, mais aussi tout simplement pour observer les gens qui, comme eux, se promènent dans l'immense magasin. Il y en a toujours pour s'installer confortablement sur un sofa et deviser avec son conjoint tout comme s'ils étaient exactement dans leur salon. Et puis surtout on y croise immanquablement des couples qui se disputent. Cela donne toujours des dialogues fabuleux, du genre "Puisque c'est comme ça je ne remettrai plus jamais de ma vie les pieds à Ikéa !" (lancé sur un ton hargneux, sans appel), ou encore "Je te dis qu'il faut prendre le plan de travail noir et non pas marron, pourquoi tu m'écoutes pas, b***** de m***** !" (propos censurés). Après avoir vu tous ces couples, épuisés par trois heures d'arpentage intensif dans les couloirs de la grande surface commerciale, Geisha Line a eu envie de se disputer avec Maître Moun, mais il n'y a rien eu à faire, mes maîtres s'entendaient à merveille. Alors ils ont juste fait semblant de se chamailler, juste pour le fun (on s'amuse comme on peut) !

En bons consommateurs, après avoir fait leurs achats, mes maîtres se sont rendus à la cafétéria d'Ikéa pour déjeuner. Devant une assiette de saumon fumé à l'aneth (histoire de rester dans l'ambiance scandinave), Geisha Line s'est exclamée que visiter Ikéa lui donnait sacrément envie de se rendre en Suède et elle s'est demandée si le ministère du tourisme suédois avait des intérêts dans la célèbre marque de magasins d'ameublement. Car quand on y pense, les magasins Ikéa ne sont-ils pas de convaincants ambassadeurs de la Suède dans le monde entier ? A part ABBA, Björn Borg et Ingmar Bergman, que connaît-on d'autre de la Suède, hormis l'image simple et fonctionnelle véhiculée par le vendeur de meubles ? Moi-même, sans le logo d'Ikéa, je ne sais pas si je saurais dire quelles sont les couleurs du drapeau suédois...
De retour à la maison, mes maîtres ont entassé dans le couloir les nombreux cartons des meubles en kit qu'ils avaient achetés. Mina, habile experte en montage (et surtout démontage), s'est chargée de déballer les colis...... et de visser les étagères. Sachez que la force naturelle de l'incroyable Mina est telle qu'elle peut se servir de ses dents comme tournevis... L'incroyable Hulk à côté d'elle, c'est de la gnognote !

Maître Moun a accepté de donner un coup de main à Mina, mais celle-ci n'a pas dérogé à son rôle de contremaître et a pris tous les risques pour vérifier la qualité du travail de son ouvrier.

Bref, pendant que Mina bricolait, j'ai eu tout le loisir de me poser des questions existentielles : quid de Ikéa au Japon ? A priori, j'aurais dit que la marque Ikéa aurait tout pour plaire aux Japonais : on retrouve chez les meubles du Suédois le même goût japonais pour la simplicité, la prédominance des matières naturelles comme le bois travaillé de façon épurée, et la recherche de solutions ingénieuses pour un habitat petit et confiné. Apparemment, je suis loin d'être seul à avoir fait cette analyse, puisque Tommy Kullberg, patron d'Ikéa Japan, est arrivé aux mêmes conclusions (voir cet article). Mais une petite recherche sur Internet m'a permis d'apprendre que le coup de foudre entre Ikéa et les Japonais n'avait pas été immédiat. Aujourd'hui, le groupe Ikéa, fondé en 1943, est implanté dans 34 pays avec 220 magasins dans le monde (voir l'historique sur leur site), mais il ne s'est installé au Japon que récemment, avec une première boutique ouverte à l'est de Tokyo en avril 2006. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour se lancer à l'assaut du gigantesque marché japonais ? A vrai dire, Ikéa avait déjà tenté de s'implanter au Japon au milieu des années 1980. Mais l'expérience s'était soldée par un échec, sans doute faute d'une bonne compréhension des attentes du public nippon. Vingt ans plus tard, Ikéa a accepté d'adapter son catalogue en fonction de certaines caractéristiques du marché japonais et a par exemple revu à la baisse la taille de certains de ses meubles (car évidemment les lits de 2,50 mètres de long ne correspondaient pas à la taille moyenne d'un couple de Japonais !). Les moeurs japonaises ont elles aussi évolué et il n'est plus si choquant pour un Japonais d'avoir à se servir et à monter soi-même son meuble, comme le veut le concept même de l'ameublement en kit.

A lire les témoignages de Français expatriés en visite dans les magasins Ikéa du Japon (par exemple David ou Mariem), il ne semble pas y avoir tant de différences avec les boutiques qu'on trouve chez nous. Bien sûr, le service est meilleur au Japon... mais ce n'est pas étonnant quand on connaît les efforts des Japonais à bien servir leur clientèle. J'ai feuilleté le catalogue en ligne du site Ikéa Japon et j'ai vu exactement les mêmes photographies et les mêmes produits que sur notre catalogue français. C'est là qu'on s'aperçoit de l'impact du mondialisme sur l'uniformisation des goûts mondiaux...

Dommage, car le design suédois à la sauce japonaise m'aurait bien plu : mes maîtres auraient ainsi pu enfin trouver une table basse à la bonne hauteur, adaptée aux sièges qu'ils ont ramenés du Japon. Car pour le moment, lorsqu'ils s'assoient sur leurs chaises japonaises, mes maîtres ont directement la tête au niveau du haut de leur table basse française... ce qui leur donne une attitude plutôt bestiale lorsqu'ils ont l'idée de dîner assis par terre, à la Japonaise !

En fait, pour trouver leur bonheur, les Moun devraient plutôt se rendre chez le concurrent japonais d'Ikéa : Muji. Il s'agit d'une chaîne de meubles et d'objets pour la maison, née en 1980, qui se distingue par un design encore plus épuré et minimaliste que celui d'Ikéa et qui joue sur la tendance écolo. Au Japon, les magasins Muji ont beaucoup de succès et offrent des produits bons marchés... ce qui n'est pas vraiment le cas en France, où la marque s'est plutôt lancé dans un créneau citadin branché (et fortuné). J'ai regardé sur le catalogue de Muji France, mais celui-ci a été retravaillé au goût des Français, et impossible de trouver une table basse vraiment basse. En revanche, on trouve de tels produits sur le catalogue nippon qui visiblement s'est posé les mêmes questions que mes maîtres.
Extraits du catalogue Muji Japon

Le problème, c'est que le Japon, ça fait tout de même un peu loin pour s'acheter une table basse... même en kit !


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