lundi 16 juin 2008

Les jeunes filles ne sont plus ce qu'elles étaient

Je continue d'explorer l'univers manga en rodant au rayon BD de ma bibliothèque municipale. Bientôt, j'aurai épuisé la source, car c'est une petite bibliothèque qui n'est pas très riche en mangas. Mes deux dernières découvertes sont des mangas avec des filles... mais attention, les héroïnes nous font entrer dans un univers plus trash que romantique !

Le premier album s'intitule Le Cercle du suicide, d'Usamaru Furuya, publié chez Sakka (Casterman). Le manga s'ouvre sur une scène violente, difficilement soutenable : à la station Shinjuku, à Tokyo, 54 jeunes lycéennes se jettent du quai sous le métro entrant en gare. Des jolies jeunes filles en uniformes, il ne reste plus que leurs cadavres sanglants et déchiquetés. Le mangaka ne pratique pas l'ellipse et nous donne à voir la scène du suicide collectif. Personnellement, j'ai vite tourné la page pour ne pas trop attarder mon regard sur ces images morbides (je suis un mouton sensible et émotif !). Dans ce carnage, une adolescente est survivante : Saya. La jeune Saya a du mal à accepter la situation et elle s'enferme encore plus dans son mal-être. Mais elle retrouve une énergie de vie en devenant à son tour, comme l'avait été sa camarade Mitsuko, sorte de gourou d'un nouveau "cercle du suicide" et en rassemblant d'autres jeunes lycéennes perdues, pour qui elle apparaît comme un modèle. Les suicides sont un cercle sans fin duquel on ne peut sortir vivant...
Il pourrait y avoir dans ce manga une vague analyse sociologique d'une société japonaise à la dérive où les adolescentes se prostituent après la classe et où la mort fascine et rassemble. Mais le propos de l'auteur est essentiellement fantastique. Il ne se soucie pas vraiment de chercher des explications sociétales ou psychologiques aux suicides de ces jeunes filles, mais achemine plutôt son histoire vers un thriller quelque peu effrayant et, du moins, qui met très mal à l'aise. J'ai refermé l'album avec une vraie impression de malaise. Les dessins sont plutôt agréables - les traits fins et travaillés -, les personnages féminins sont jolis (les jupes des lycéennes sont très très courtes, fantasme semble-t-il récurrent chez les mangakas !)... ce qui, par contraste, rend encore plus terrible la noirceur de l'histoire et la violence de certaines scènes. J'ai trouvé que cette violence était gratuite : y avait-il d'autres intentions derrière le sang et les têtes décapitées ? Les allusions fantastiques viennent anéantir toute subtilité socio-psychologique, qu'on avait pu trouver dans le film Virgin suicides de la fille Coppola, qui traite du même sujet. D'ailleurs, il semble que le manga soit l'adaptation d'un film japonais de Shion Sono... mais si les images du film sont aussi rudes que celle du manga, je crois que ce n'est pas trop pour moi !

Ne quittons pas l'univers des jeunes filles japonaises, mais changeons de genre. Pink est une histoire de fille, écrite par une fille - Kyoto Okazaki. Casterman a eu l'originalité d'éditer cet ouvrage dans deux formats : la collection "Sakka" en sens de lecture japonais, et, à un prix plus élevé, l'adaptation au sens de lecture occidentale dans la collection "Ecritures".
L'héroïne s'appelle Yumi. Elle a 22 ans. Le jour, elle est employée de bureau et la nuit elle est call-girl pour arrondir ses fins de mois et ramener assez d'argent pour nourrir le vorace animal de compagnie qu'elle élève dans son salon : un crocodile ! Autour d'elle gravitent des personnages presque aussi déjantés qu'elle - Keiko, sa petite soeur capricieuse ; Haruo, l'amant de sa belle-mère qui va devenir son petit-ami ; ou encore sa marâtre, aussi machiavélique que la belle-mère de Blanche-Neige.

Le personnage de Yumi décontenance tant elle est originale et imprévisible. Il en est de même pour l'album qui ne cesse d'adopter des directions différentes et de bousculer son lecteur en changeant les points de vue et les narrateurs. L'ensemble est foisonnant et brouillon en même temps, comme le trait de la dessinatrice qui est souvent lâche et imprécis. Des thèmes graves, comme la prostitution et la solitude citadine, sont traités avec insouciance. Le sexe est très présent et montré sans tabou ni pudeur. Parodie de conte de fée ? Portrait réaliste de la jeunesse féminine ? Histoire d'amour ? Pink est tout cela en même temps sans vraiment vouloir se limiter à un seul genre.

Personnellement, j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de choses intéressantes dans cet album, mais qu'il donnait l'impression de partir dans tous les sens et de ne pas être complètement fini. J'aurais aimé moins de pages, mais plus travaillées et pensées. Mais bon, peut-être est-ce encore mon esprit cartésien qui a du mal à se faire au foisonnement narratif...

Le Cercle du suicide
Usamaru Furuya
Traduction : Naomiki Sato & Marie-Saskia Raynal
Casterman - collection Sakka

Pink
Kyoto Okazaki
Casterman - collection Sakka et collection Ecritures

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