mardi 6 mai 2008

Le monde des fleurs et des saules

Lorsque nous étions à Kyoto, nous avons résidé dans le quartier de Gion (à prononcer "Guion", pour ne pas (trop) passer pour des touristes). C'est un endroit connu pour être LE quartier des geishas. En lui-même, le quartier ne paye pas de mine, surtout vu de jour. Ce qui frappe surtout, c'est l'atmosphère traditionnelle et préservée des petites rues, qui contraste avec la modernité de la grande avenue commerçante à deux pas.

Pour espérer voir une geisha, il faut aller dans la rue où se trouvent les maisons de thé.

Une maison de thé, ou ochaya, est l'endroit où les geishas reçoivent leurs clients. Ce sont des maisons à la façade de bois, complètement fermées sur l'extérieur et dans lesquelles un passant curieux ne peut même espérer y passer le bout de son nez. Les services d'une geisha sont hors de prix et seuls quelques hommes triés sur le volet et généralement choisis par recommandation y ont recours.

Que les choses soient claires : une geisha n'est pas une prostituée ! La confusion, répandue chez les non-Japonais, est révélatrice de l'esprit tordu des Occidentaux - même s'il est vrai qu'après la Seconde Guerre mondiale certaines prostituées malintentionnées ont joué sur cette confusion auprès des soldats américains peu regardant en se faisant passer pour des geishas afin d'augmenter leurs tarifs. Au sens étymologique, une geisha est une pratiquante (sha) des arts (gei) qui a pour rôle de divertir les hommes riches. C'est une lointaine ancêtre des bouffons de l'Europe médiévale, le raffinement et la délicatesse en plus. Les arts que pratique la geisha et qu'elle apprend au fil d'une longue formation sont la danse, la musique (avec des instruments spécifiques comme le shamisen, la flûte et quelques tambours traditionnels), la cérémonie du thé (chanoyu) et même la poésie japonaise. On est loin des plaisirs vulgaires, n'est-ce pas ?

Vous allez dire : il en connaît un rayon le Paddy sur les geishas ! A moins que vous me soupçonniez de recopier ici la page de Wikipédia sur les geishas.

En fait, en mettant pour la première fois les pieds à Gion, ni mes maîtres ni moi n'étions si savants. Passé le premier réflexe de néophyte qui consiste à prendre toute femme portant un kimono pour une geisha (oui, shame of us, nous sommes partis de si bas !), nous nous sommes laissés prendre au piège de la naïveté avec une facilité déconcertante. Au détour d'une rue, nous avons vu en effet deux charmantes demoiselles habillées dans de jolis kimonos noués par une grosse ceinture fleurie (obi) et au visage maquillé de blanc. Nous nous sommes exclamés, emplis de l'excitation du voyageur : "Oh, des geishas !" et nous avons fait comme les touristes qui nous entouraient : nous avons mitraillé les demoiselles avec notre appareil photo, fiers d'avoir immortalisé cette rencontre inopinée avec les belles geishas.

En réalité, le fait que les jeunes femmes prennent gentiment la pause, comme des mannequins, aurait dû nous mettre la puce à l'oreille. Les geishas ont bien autre chose à faire qu'amuser les touristes ! Notre amie Noriko nous a appris plus tard, lorsque nous lui avons montré la photo, que ce n'était sûrement pas des geishas, mais simplement de jeunes Japonaises qui s'étaient amusées à se déguiser en geishas. Les geishas sont des attractions même pour les Japonais et on trouve plusieurs boutiques proposant d'imiter la geiko pendant une journée !

En nous promenant dans Kyoto, nous avons continué à croiser des femmes au kimono fleuri et à l'obi noué en "noeud de tambour" ou en traîne. Mais le doute s'était accroché dans notre esprit : comment savoir s'il s'agissait bien d'une geisha ? Encore maintenant, lorsque je regarde cette photo prise d'une jeune femme accompagnée d'un homme, dans les rues de Gion, je me pose la question : est-ce une geiko ? (Si des connaisseurs savent la réponse à ma question, qu'ils m'écrivent !)
Pour être sûrs de voir des geishas vraies de vraies, nous nous sommes dits alors qu'il fallait aller à un endroit où il n'y a que ça : un festival de danse de geishas ! Ces spectacles ont lieu seulement quelques jours dans l'année, au printemps et à l'automne. C'était l'occasion ou jamais ! Nous avons donc pris des billets au théâtre Gionkobu Kaburenjo pour la représentation "Miyako Odori", les fameuses "Danses de la capitale". Assis sur des tatamis tout en haut du théâtre (mes maîtres avaient pris les places les moins chères, les rapiats !), nous avons pu ainsi admirer une heure durant le chant et la danse des geikos. Le spectacle avait pour thème les quatre saisons et nous n'avons eu aucun mal à distinguer les changements de temps, grâce notamment à un jeu de décors bien orchestré. Ce qui a frappé Geisha Line, c'est bien sûr l'extrême beauté des kimonos - réalisés à la main et coûtant une fortune. L'harmonie des gestes et la parfaite coordination des mouvements des danseuses ont dû impressionner Maître Moun. Toutefois, pour être honnête, la musique a quelque peu perturbé nos oreilles occidentales : des notes extrêmement aiguës et des harmonies inédites nous ont rappelé que l'émotion artistique est tout de même très travaillée par l'appartenance culturelle.

Le spectacle nous avait permis d'entrevoir l'univers des geishas. Mais en sortant du théâtre, nous étions encore de vulgaires touristes. Et, comme les flots de touristes étrangers, Maître Moun s'est précipité sur la pauvre geisha qui sortait pour rejoindre son taxi. Comme quoi, il y a bien du paparazzo dans le touriste !

Mais de retour en France, Geisha Line avait le sentiment de ne toujours pas avoir bien compris ce qu'était vraiment une geisha. Par déformation professionnelle, elle s'est dit alors que c'était par un livre qu'elle pourrait en apprendre plus. Elle a donc dévoré le célèbre best-seller de d'Arthur Golden intitulé Geisha et publié en 1997. Ce roman est l'autobiographie fictive d'une geisha de Gion dans les années 1930 et 1940. On y lit tout le parcours de Sayuri, la narratrice depuis son arrivée à Gion, après avoir été vendue par son père à une okya (maison de geisha), jusqu'à ses premiers pas comme maiko (apprentie geisha) sous l'égide de sa "grande soeur" Mameha et en lutte contre la jalousie de sa rivale Hatsumomo. Évidemment Sayuri deviendra une grande geisha, malgré tous les obstacles rencontrés.

Littérairement, le roman n'a pas un grand intérêt. Tous les topoï du récit initiatique s'y retrouvent, avec une insistance particulière sur l'enfance malheureuse, dévorée par les injustices et les brimades pleines de méchanceté. Toutes les ficelles sont là pour émouvoir et tenir en haleine le lecteur bon public. Malgré tout, ce roman est un témoignage précis et complet sur la vie des geishas, leur quotidien et la dureté de leur métier. On pourrait suspecter l'auteur - un homme, et un Américain de surcroît - et s'interroger sur la validité de son récit. Mais Arthur Golden est un professeur spécialiste du Japon et, parce qu'il a travaillé de concert avec une geisha qui l'a beaucoup aidé dans l'écriture de son roman, on peut penser que tout ce qu'il raconte trahit au plus près la réalité. C'est d'ailleurs assez fascinant d'entrer dans le quotidien des geishas. Le métier - du moins tel qu'il était il y a plus de soixante-dix ans - n'est pas aussi rose qu'on pourrait l'imaginer : les jalousies et les vengeances y tiennent une grande place, et les jeux d'intérêts animent l'okiya, où tout est affaire d'intérêts financiers. En 1930, une jeune fille ne choisissait pas de devenir geisha et son destin et ses désirs prenaient rarement la même voie. Elle devait traverser des épreuves révoltantes, comme la cérémonie du mizuage consistant en une mise aux enchères de sa virginité (tradition heureusement interdite par la loi depuis les années 1960) ou sa mise à disposition à un riche danna payant ses frais (et plus si affinités)...

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les geikos et les maikos pour espérer comprendre leur art... En attendant, j'ai surpris l'autre soir mes maîtres en train de jouer au danna et à sa geiko, dans leurs yukatas tout neufs ramenés du Japon. Vous me croyez si je vous dis qu'ils prenaient leur rôle très au sérieux ?!



Geisha
Arthur Golden
Traduction de Annie Hamel
Le Livre de poche

  • Le film, adapté du roman, réalisé par Rob Marshall et sorti en 2006. Le personnage principal est joué par une Chinoise, ce qui a fait polémique, on s'en doute !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah, oui j'ai lu le livre d'Arthur Golden! Très (trop?) facile à lire, c'est vrai. Très instructif. Mais j'ai lu que la geisha qui avait témoigné auprès de l'auteur s'était sentie trahie par le livre. Elle a donc écrit elle-même un bouquin, publié en France sous le titre Mémoires d'une geisha (10/18) (le "Memories of a geisha" d'A. Golden a en effet été traduit par "Geisha" en France) Je ne l'ai pas lu, mais on m'a dit que c'était extraordinaire!

Anonyme a dit…

Depuis ce post, j'ai pu visionner le film "Mémoire d'une geisha", adapté du livre de Golden. C'est plutôt un beau film, mais j'étais un peu déçu par rapport au livre. Dans mon imagination, j'avais une vision des kimonos plus colorés et plus magnifiques qu'ils ne le sont dans le film. Mais peut-être est-ce un film qui se voit de préférence sur grand écran plutôt qu'à la télé !
J'ai entendu parler du livre écrit par l'ancienne geisha, mais je ne l'ai pas lu. C'était courageux de sa part de témoigner, car ce monde des geikos est généralement entouré de secrets.