mercredi 14 mai 2008

Clic-clac, dans la boîte

Depuis la France, on a l'image des Japonais que ceux-ci nous montrent d'eux comme touristes lorsqu'ils viennent en visite à Paris. Vous savez, les cars entiers remplis de Japonais qu'on débarque pour une visite éclair - et non pas moins chronométrée à la seconde - au pied de la Tour Eiffel ou du Château de Versailles et qui, en moins de cinq minutes, ont déjà mitraillé tout ce qu'ils pouvaient. Ne mentez pas, je suis sûr qu'il vous est déjà arrivé de vous moquer du touriste japonais type : celui qui a l'œil rivé à son objectif, les doigts cramponnés à son appareil photo dernier cri, et qui est si obsédé des clichés qu'il veut ramener dans son pays qu'il en oublie de regarder le paysage.
Comme je fuis les clichés et les idées toutes faites, j'aimerais vous dire que ce n'est pas vrai, que le Japonais n'est pas comme ça et que c'est là une caricature que de le considérer comme un fou de photo. Mais en fait non. Personnellement et en toute honnêteté, j'ai trouvé que le Japonais du Japon se comportait avec son appareil photo exactement de la même façon que le Japonais touriste en France. Pareil, exactement pareil !

Jouant sur les effets de mise en abyme, Maître Moun s'est donc amusé à photographier les Japonais en train de photographier, histoire de vous montrer que parfois la réalité ne vaut pas mieux que son cliché.

Voici un monsieur, certainement à la retraite, qui, le dimanche se rend dans le parc entourant le sanctuaire Meiji, y trimballe tout son matériel digne d'un vrai professionnel, et prend tout son temps pour trouver le meilleur endroit qui fera la meilleure photo du meilleur des cerisiers en fleurs :

Au Japon, le trépied n'est pas un accessoire réservé aux professionnels. Nous avons croisé plusieurs familles dont le mari avait la joie d'avoir à se promener avec ce lourd ustensile sur les épaules. A tel point que dans certains des musées ou temples que nous avons visités, il y avait la mention à l'entrée "trépieds interdits". Forcément, si les trois quarts des touristes se ramènent avec un long et lourd manche en métal dans le musée de céramiques anciennes, cela peut faire des dégâts !

A vrai dire, le désir d'immortaliser le moment en photo est plus grand que celui de faire une photo esthétique. A cet effet, le téléphone portable qui fait aussi appareil photo est bien pratique.
Nous avons vu plusieurs Japonais amateurs dégainer leur téléphone devant le moindre cerisier en fleurs... à tel point qu'on peut imaginer qu'en avril au moins 80 % des Japonais ont en fond d'écran la photo d'un cerisier en fleurs.
La photo ci-dessus a été prise à Tokyo, dans le quartier Asakusa, sur le pont Azuma, au-dessus de la rivière Sumida. C'était juste à côté de l'immeuble surélevé par la goutte d'or de la Brasserie Ashai.
Mais ce qui obsédait ce monsieur en costume, c'était les cerisiers bordant le parc Sumida. Sur cette photo, on devine l'excitation de son regard et sa jouissance à l'idée qu'il va enfermer dans son petit téléphone les fleurs roses de ce début avril. Combien en avons-nous croisé comme lui qui prenaient les poses les plus insensées pour immortaliser les fleurs de cerisiers ? Souvent, Maître Moun, en photographe amateur et néanmoins averti, s'est amusé des positions impossibles que ces Japonais prenaient (jambes écartées et pliées, assis au-dessus du vide) et des libertés impardonnables qu'ils s'octroyaient avec les règles minimales de photographie (gros plan excessivement gros, contre-jour irrévocable, ambition impossible devant un flash censé éclairé un monument de 20 mètres de haut...).

Mais en même temps, il y a dans cette obsession des Japonais à prendre en photo leurs cerisiers en fleurs une joie non dissimulée et un amour véritable pour ce que le printemps fait de leur pays. Il y a l'empressement fébrile à profiter au maximum d'une beauté qu'ils savent éphémère. Photographier à tout prix le magnifique cerisier car demain déjà il ne sera plus aussi beau et qu'après-demain les minuscules pétales rosés s'évanouiront en tempêtes de fleurs. L'obsession de la photo du cerisier en fleur est telle que souvent les Japonais en oubliaient de regarder ailleurs. Ainsi, à Kamakura, au sanctuaire Hachiman-gu, les cerisiers en fleurs étaient si éclatants au bord du petit étang qu'il semblait que personne n'ait l'idée de jeter un coup d'oeil également aux statues entourant le sanctuaire shintoïste.
Devant certains monuments connus, il y a même un photographe professionnel (un vrai professionnel cette fois-ci) qui propose de prendre en photos les touristes qui, pauvres malheureux, auraient oublié leur appareil. Ainsi, à Kyoto, nous avons surpris une classe entière, en voyage scolaire, en train de se faire photographier avec leur professeur. Nous étions juste derrière le photographe pour prendre le cliché, d'où l'impression que les enfants regardent notre objectif :

Grâce à cet état d'esprit, il s'avère très facile pour un touriste étranger de prendre des photos. On ne se sent pas intrus : on fait comme tout le monde - même comme les hommes d'affaires ! Du coup, des Japonais laissaient Geisha Line poser longuement sous l'objectif de Maître Moun, attendant patiemment que la voie soit redevenue libre pour passer. D'autres ont même proposé spontanément à mes maîtres de les prendre en photo. Rien de plus facile que de partir au Japon en couple pour en ramener des tas de photos de soi en amoureux ! Sauf que pour un Japonais le geste indispensable sur une photo est la main en l'air avec l'index et le majeur en signe de victoire. Comment ces jeunes écolières :
Ou, si vous préférez, comme la dame ci-dessous :

Mes maîtres ont donc rapporté toute une série de photos où ont les voit crier Victoire au lieu de s'exclamer "Cheese" ou "Ouistititi" !

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