jeudi 31 juillet 2008

Les dernières lueurs des lucioles

Je suis encore tout bouleversé d'une lecture faite il y a quelques jours : une nouvelle de Nosaka Akiyuki, intitulée La Tombe des luciole. Nosaka a acquis la célébrité avec ce livre écrit en 1967, en obtenant le plus prestigieux des prix de littérature au Japon (le prix Naoki) et en nuançant ainsi la réputation sulfureuse de son premier livre Les pornographes.

L'histoire de la Tombe des lucioles est poignante. Elle révèle toute l'horreur de la guerre, et plus particulièrement la réalité terrible à laquelle ont été confrontés les Japonais au moment de la débâcle de 1945. Lors d'un bombardement particulièrement violent mené par les Américains sur Kobe, Seita, 14 ans, doit s'enfuir avec sa petite soeur, Setsuko, âgée de quatre ans. Depuis plusieurs mois, ils n'ont pas de nouvelle de leur père, soldat dans la marine japonaise. Quand leur mère est gravement blessée dans le bombardement et ne tarde pas à mourir de ses blessures, les deux enfants deviennent orphelins. Ils prennent d'abord refuge chez une tante éloignée. Mais cette femme, égoïste et vénale, leur rend la vie si dure que Seita préfère quitter ce foyer d'adoption et vivre seul, avec sa soeur, dans la nature. Les deux enfants sont livrés à eux-mêmes, dans un environnement hostile, où règnent la famine et les épidémies. Malgré le courage de Seita qui prend soin avec tendresse de sa soeur, les enfants ne survivront pas et mourront l'un après l'autre, dans une solitude insoutenable.
Racontée ainsi, l'histoire est sordide. Et elle l'est, en effet. Dès les premières pages, la mort de Setsuko et Seita est annoncée. Mais, même en sachant ce qui allait se passer, j'ai parfois eu du mal à continuer ma lecture, tant tout est décrit avec un réalisme cru n'épargnant aucun détail. Le style de Nosaka est particulier : des phrases démesurément longues (plus d'une page parfois !) alternent avec un vocabulaire argotique, malmenant la langue (inversion des sujets, formules du langage oral...). J'ai trouvé les choix du traducteur pas toujours judicieux, mais je n'avais aucun moyen de comparer avec le texte original, il est vrai. La longueur des phrases donne un rythme haletant au récit. L'ouverture de la nouvelle se lit dans un souffle, rendant plus dramatique encore l'épisode de la découverte du corps abandonné du jeune Seita.
Il s'agit d'un récit très fort, et même oppressant, condensant un maximum d'émotions. L'histoire est en partie autobiographique : le jeune Nosaka a lui aussi vécu un épisode similaire et a perdu sa mère et sa soeur adoptives pendant la guerre. La différence est que Nosaka a survécu à la guerre et s'est retrouvé dans un foyer de correction, suite à des vols de nourriture, alors que son jeune héros meurt. Les critiques disent que l'écriture de cette nouvelle a eu un effet thérapeutique sur l'écrivain : magnifier la mort du personnage a peut-être été en effet un moyen d'évacuer la grande culpabilité avec lequel a grandi Nosaka.
Mais ne nous perdons pas dans des explications psychanalysantes ! La force du récit tient en elle-même, indépendamment du lien avec la biographie de son auteur.
J'ai été touché par cette histoire, et pourtant je la connaissais déjà. La nouvelle a en effet été adaptée dans un film d'animation de Isao Takahata du Studio Ghibli, sorti en 1988. Cet anime, paru sous le titre Le tombeau des lucioles, faisait partie du mince trousseau de Maître Moun lorsqu'il a emménagé avec Geisha Line et tous deux ont vu plusieurs fois la vidéo.
Le film est très fidèle à la nouvelle. On y retrouve le même réalisme : des images très dures des scènes de guerre et de la misère à laquelle sont en proie les habitants, associées à une forte présence des tons rouges et noirs, donnant une atmosphère de fin du monde. Ce dessin animé n'est clairement pas destiné aux enfants. Pourtant, le film d'animation est moins pénible que la nouvelle. Le film est en effet traversé par un certain onirisme : le visage charmant des enfants, le rire de la petite fille, la musique poétique...Il y a dans le film des moments de tendresse et de joie, transfigurés par une vraie poésie. C'est le cas par exemple lorsque les enfants vont sur la plage.

La poésie vient également des lucioles, personnages centraux de l'histoire. Les lucioles, ce sont ces petits insectes qu'attrape Setsuko pour les capturer sous la moustiquaire et ainsi éclairer faiblement la cave qui leur sert de refuge. C'est aussi les avions des kamikazes qui tentent de sauver leur pays et que les enfants contemplent dans le ciel. C'est surtout ces lueurs d'espoir éphémères, vouées à la mort.

Le matin, la petite fille retrouve les lucioles mortes dans leur cabane, et les enterre dans la terre. Quelques semaines plus tard, ce sera le grand frère qui fera la tombe de sa petite soeur, en enfermant dans une petite boite ses dernières cendres, accompagnées de quelques lucioles lumineuses.
Dans la nouvelle, cette tombe improvisée est seulement évoquée dans les premières lignes. Dans le film, elle joue un rôle plus important, apparaissant sous l'aspect d'une boite à bonbons à laquelle est attachée la petite Setsuko et qu'elle trimballe partout avec elle. Lorsque Maître Moun a trouvé cette boite de bonbons en métal dans l'épicerie Kyoko à Paris, puis dans plusieurs magasins au Japon, il s'est empressé d'en acheter, autant par fétichisme que par gourmandise. (Je vous aurai bien fait une photo de ces fameuses boites, mais je ne sais pas où le Moun les a cachées !).
Ce qu'il y a de plus terrible dans la Tombe des lucioles, c'est le sentiment d'injustice et de révolte que l'on ressent face la responsabilité des adultes. Aucun adulte - ni la tante, ni des voisins - ne vient en aide des enfants qui meurent dans une indifférence choquante.

Il est certain que cette histoire n'a pu que marquer les Japonais et interroger la responsabilité des survivants de l'après-guerre. Cette influence est telle qu'on la retrouve dans un film contemporain, sorti en 2004. Nobody knows (film japonais, comme son titre ne l'indique pas) raconte la lente déchéance de quatre enfants, abandonnés par une mère volage et livrés à eux-mêmes. Ce film est d'autant plus grave que cette fois-ci la guerre n'est plus là en arrière-fond pour justifier l'irresponsabilité des adultes...

La Tombe des lucioles (Hotaru no Haka)
Nosaka Akiyuki
Traduit par Patrick de Vos
Picquier
1967


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