mardi 29 juillet 2008

Oui au Nô

J'ai beaucoup bavardé ces derniers temps, et je voudrais quand même revenir un peu au point de départ de ce blog : notre voyage au Japon.
Lorsque nous étions à Tokyo, nous avions le vague projet d'aller voir un spectacle de Nô. Mais le temps nous a manqué. Et puis il faut dire que vue la tête de nos amis japonais lorsque nous leur avions confié qu'on voulait assister à une représentation de Nô ou de Kabuki, on avait été un peu refroidis : les jeunes Japonais d'aujourd'hui avaient l'air de nous dire que le Nô, c'est quand même un peu ennuyeux/long/répétitif/incompréhensible (au choix) et résolument élitiste.

Finalement, le hasard a bien fait les choses. A la fin de notre séjour, lorsque nous sommes arrivés sur l'île de Miyajima, au large d'Hiroshima, la dame de l'office du tourisme nous a confié qu'on était chanceux car ce jour-là était le dernier jour d'un festival de Nô consacrant une représentation exceptionnelle n'ayant lieu qu'une fois dans l'année et, qui plus est, entièrement gratuite. Maître Moun était tout content et, à peine les sacs déposés au ryokan, nous nous sommes rendus sur la scène de théâtre de Nô.

Miyajima et le Nô vivent une belle histoire depuis 400 ans. Le sanctuaire d'Itsukushima abrite en effet la plus ancienne scène de théâtre Nô. Le plus fabuleux, c'est que la scène est entièrement construite sur la mer : la grande estrade de bois est édifiée sur pilotis, à quelques centimètres de la mer qui, au gré des marées, vient et se retire régulièrement sous les acteurs. Le théâtre est ouvert sur l'extérieur, seulement protégé des intempéries par un toit, et, entre les acteurs et le public, il y a un espace d'eau et de sable. Voici une photo pour mieux visualiser l'installation :
Le grand torii au loin, derrière la scène

Les spectateurs étaient assis par terre, sur le sol de bois. Nous avons essayé de nous faufiler pour nous mettre au premier rang. Devant nous, il y avait de grosses caméras de qualité professionnelle, avec trépieds, zoom hyper puissant et méga micro. Nous avons cru tout d'abord qu'il s'agissait de la télévision qui était venue enregistrer le spectacle. Mais nous nous sommes rendus compte que les cameramen étaient en fait de vieilles dames, sans doute des fans inconditionnelles de Nô qui avaient sorti tout leur matériel high-tech pour l'occasion ! Peu de temps après notre arrivée, elles ont commencé à plier bagage et l'une d'elles a insisté pour donner à Geisha Line un petit coussin pour ses petites fesses !
Les copines camerawomen de Geisha Line

Bref, nous avons pu rapidement être aux premières loges et assister pile face à la scène à la pièce jouée. Avec son appareil photo d'amateur, Maître Moun a pris le relais des vieilles dames à la vidéo.


Le bruit de fond désagréable, c'est le vent, vrai inconvénient d'une scène en pleine air ! Le vent était particulièrement fort et froid. Pourtant, spectateurs et acteurs semblaient imperturbables. La représentation durait toute la journée, soit près de sept heures, avec une alternance d'environ cinq pièces, appartenant à des genres différents. A côté de moi étaient assis un couple de personnes âgées. Le monsieur était très digne dans son costume ceintré et le visage impassible sous son chapeau. La concentration dont il faisait preuve m'a particulièrement frappé. Il suivait chaque mouvement de la scène, sans laisser apparaître la moindre émotion, et vérifiant régulièrement le titre des drames représentés sur son livret de théâtre. A midi pétante, son épouse a sorti de son sac deux bentos en bois, avec des baguettes, et ils ont ensemble mangé leurs makis tout en ne quittant pas la scène des yeux.


Au bout de quelques temps, la faim s'est également faite sentir dans l'estomac de mes maîtres. Ils avaient quelques scrupules à manger dans un théâtre. Mais ils se sont rendus compte que tout le monde autour d'eux avait sorti son pique-nique. Alors ils ont fait pareil en ouvrant leur paquet de chips et allant acheter des bentos vendus à l'arrière des spectateurs.


Et le spectacle, me direz-vous ? Si je parle beaucoup de tout ce qu'il y a autour, c'est que j'ai passé pas mal de temps (on a dû rester une heure ou une heure et demie environ) à regarder autour de moi, plutôt qu'à observer la scène. Car, soyons honnête, une grande partie de ce qui se passait sur la scène m'échappait ! Le Nô est un théâtre très stylisé et codifié, où chants et danses alternent, menés par des acteurs masqués et dont les gestes sont lentement rythmés et alourdis par de précieux costumes. C'est le cas par exemple de cet acteur qui devait avoir bien chaud sous sa coiffe et sa robe !

Ce qui frappe, évidemment, ce sont les vocalisations des chants, accompagnés d'instruments de musique minimalistes (des tambourins et une flûte traversière). Rien à voir avec les harmonies de notre musique occidentale ! Quant aux paroles, impossible de les comprendre bien entendu. Mais nous n'étions sans doute pas les seuls, puisque les pièces sont souvent jouées en japonais archaïque, la langue parlée au XVIe siècle.

Dans ces cas-là, il s'agit de se concentrer sur ce qui est universel : les gestes et les mimiques. Ceux-ci étaient relativement clairs pour l'une des pièces, où il était question du vol d'un pot de riz. A posteriori, je pense qu'il s'agissait d'un kyôgen, petite pièce comique jouée en intermède entre deux drames.


Il y a peu d'acteurs sur une scène de Nô, outre les musiciens qui restent sur le côté. En fait, l'intrigue est resserrée au maximum, concentrée autour de l'acteur principal (nommé shite) et de son faire-valoir, le waki, qui a pour rôle de donner une raison au shite de se mettre à danser et chanter. Des deux acteurs, seul le shite porte un masque. Ce masque l'aide à entrer dans la peau de tous les personnages qu'il doit jouer - aussi bien un vieillard, un prince qu'une femme (car, comme au temps de Shakespeare, il n'y a pas d'actrice dans le Nô), mais aussi un dieu ou un animal. Dès que l'acteur a revêtu le masque, il devient son personnage. Le masque concentre l'essence du personnage. On dit même que l'acteur passe des heures à contempler le masque qu'il doit porter, afin de s'imprégner du caractère profond du personnage qu'il doit incarner. Lorsque l'acteur ne porte pas de masque, il doit rester impassible, le visage complètement inexpressif, comme s'il portait un masque ! C'est en un sens une très claire façon de marquer la différence entre la réalité et la fiction, entre la vie et le jeu.


Ce qui est amusant, c'est que les masques sont plus petits que les visages des acteurs. Du coup, l'acteur ne voit pas très bien ce qui se passe sur scène et doit se repérer en fonction des poteaux qui composent le théâtre. Je ne sais pas vous, mais moi je serais mort d'angoisse à l'idée de trébucher !

Il y a plus d'une soixantaine de masques qui symbolisent autant de personnages. Ils sont réunis en six catégories : hommes, femmes, démons, vieillards, esprits vengeurs... Evidemment, il aurait fallu rester toute la journée pour contempler tous ces masques. Nous avons pu simplement observer les gracieux mouvements d'éventail de l'acteur. Il s'agit là aussi d'un accessoire essentiel, qui donne des indications sur la nature du personnage.


Au bout d'un bon moment, Geisha Line commençait à avoir drôlement froid, assise par terre ainsi en plein vent. Nous avons donc laissé là le vieux monsieur et son épouse, valeureux spectateurs, et abandonné à leurs vocalises les acteurs de la scène, et avons quitté le sanctuaire pour nous balader dans l'île. Quoi qu'il en soit, cet intermède de Nô fut une expérience hors du commun, c'est certain !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Oh! Un article sur le nô, merveille! ^^ Lorsque j'ai commençé à regarder du kabuki sur Youtube, j'ai lu que le kabuki était le théâtre "populaire", beaucoup plus abordable que le nô... j'étais étonnée, parceque quand même, je trouvais qu'il y avait des trucs plus abordables que le kabuki! J'ai donc cherché des représentation de nô, et là j'ai compris... ^^;

Vous avez lu Métaphysique des Tubes, d'Amélie Nothomb? Il y a un passage très drôle sur le nô, et sur comment son père est devenu le premier chanteur de nô occidental. Elle y dit entre autre que "un spectateur inculte et sincère qui entend du nô pour la première fois ne peut éprouver qu'un profond malaise, comme l'étranger qui mange pour la première fois l'âpre prune marinée au sel du petit déjeuner traditionnel japonais"

Quoi qu'il en soit, le cadre était magnifique, vous en avez de la chance!

PS : ce n'est pas du tout pour me faire de la pub, mais la coïncidance est amusante : je viens de poster un article sur le pansori, un art traditionnel coréen tout aussi déroutant au premier abord :p

Anonyme a dit…

La prochaine fois qu'il y aura un spectacle de kabuki à Paris (il y en a parfois), j'essaierai de ne pas le louper, histoire de voir si kabuki et nô sont aussi différents qu'on le dit. Le Nô a une image d'ésotérisme qui lui colle à la peau, même aux yeux d'un Japonais. J'ai regretté sur place de n'avoir aucune explication et d'avoir à attendre d'être de retour en France pour en apprendre un peu plus sur ce théâtre.

J'avais lu _Métaphysique des tubes_, mais ça fait un bon moment déjà. Je ne me souvenais plus de cette scène avec le Nô. Tiens, faudrait que je le relise ! Je comprends le mot "malaise", tant les chants sont déroutants, presque disharmoniques (à nos oreilles), un peu comme les chants des geishas que nous avons eu la chance également d'entendre.(Voir ici http://paddyaujapon.blogspot.com/2008/05/le-monde-des-fleurs-et-des-saules.html)

Je ne connaissais pas le pansori. Intéressant... Que de choses à découvrir, quand on regarde du côté du monde asiatique !

Anonyme a dit…

Desu ne?
Mais le pansori est beeauucoup plus abordable que le nô, ou même le kabuki. Le récitant raconte un conte, donc du moment que c'est sous-titré, c'est très entrainant.

Anonyme a dit…

J'aime bien les contes et les belles histoires en général ! Tu crois que le film dont tu parlais va repasser sur Arte ?!