samedi 20 décembre 2008

"Il était une fois..."

Dans sa collection de contes, L'école des loisirs a publié des "contes japonais". Il s'agit, dit la traductrice dans sa préface, de "otogizôshi", des contes datant de l'ère Edo (1603-1868). Quatre des contes publiés sont issus d'une édition de référence au Japon (Iwanami Shoten) regroupant une vingtaine de contes datant de 1662-1672. Les cinq contes choisis sont, pour la plupart, connus de tous les Japonais.

Au fil des pages, peu de "yokaï" ou d'esprits monstrueux, mais des personnages humains pour qui, à un moment donné, le destin bascule brusquement grâce à l'irruption d'une puissance fantastique - la déesse Kannon dans le joli conte "La princesse affublée d'un bol" ou la tortue apparaissant sous les traits d'une belle femme dans "Le pêcheur et la tortue". Ces contes sont rythmés par des rebondissements souvent improbables, mais aussi construits autour d'ellipses par lesquelles on peut sauter des siècles d'une phrase à l'autre. La fin de certaines histoires est parfois déroutante (comme dans "L'homme au miroir", dans lequel un vieil homme de la campagne croit voir un maléfice dans un simple miroir). Quant aux descriptions, elles ont un petit côté suranné, infiniment dépaysant, dans les hyperboles qualifiant les fabuleux kimonos ou les amours qui durent "plus longtemps encore que ne vit dans les pinèdes de la baie la tortue de mille ans" (p. 86).
En vérité, ce sont justement ces excès qui m'ont charmé, me donnant l'impression par la seule lecture de voyager non seulement à l'autre bout du monde, mais aussi très loin dans le temps.

Une lecture pour tous, et certainement pas à garder jalousement uniquement pour les lecteurs de "neuf" ans de L'école des loisirs. Cela m'a donné une envie furieuse de lire d'autres contes japonais (voire d'en écrire ?)... mais je n'ai pas trouvé beaucoup de recueils de contes publiés en français. Auriez-vous un livre à me conseiller ?

Pour le plaisir, un petit extrait de mon conte préféré, "La princesse affublée d'un bol"... Il s'agit d'une princesse qui, à la mort de sa mère, se voit condamnée à porter un bol inenlevable au sommet de sa tête. Comme Blanche Neige, elle est chassée par la méchante belle-mère avc qui s'est remarié son père. La jeune princesse vit dans la misère... jusqu'au jour où la rencontre avec un beau seigneur parvient miraculeusement à faire disparaître le maléfice. Telle Peau d'Âne (dans la version de Demy, s'il vous plaît !), la voici transformée en magnifique jeune femme. Voici donc l'apparition de la belle, devant les regards ébahis du royaume :

""Affublée d'un bol" fit son entrée. Si l'on voulait la décrire précisément, il faudrait dire qu'elle avait l'élégance de la lune quand elle apparaît vaguement d'entre les nuages. Les traits de son visage étaient d'une rare distinction et la beauté qui émanait de sa personne entière faisait penser aux fleurs de cerisier au début du printemps, à peine visibles dans la lumière du matin, quand elles scintillent faiblement après l'ondée. Ses sourcils dessinés au crayon évoquaient un léger brouillard et de coquettes mèches de cheveux qu'on aurait pu confondre avec les ailes d'une cigale à l'automne encadraient un visage serein que les fleurs de printemps eussent envié et la lune d'automne jalousé tant il était raffiné. On lui donnait quinze à seize ans. Elle portait un vêtement de soie lustrée grège recouvert de plusieurs robes de brocart de Chine à manche courtes, dont les couleurs variaient du jade au violet. Puis, par-dessus encore, elle avait revêtu une longue jupe de cérémonie teinte de cramoisie sombre dont la traîne s'étalait devant et derrière elle. Tandis qu'elle avançait à petits pas, une épingle de jade oscillait dans ses cheveux. Sa silhouette faisait penser à l'apparition d'une nymphe céleste."
Contes japonais, "La princesse affublée d'un bol", pages 99-100

Contes japonais - L'homme au miroir
Contes choisis et traduits par Masahiro Inoue et Monique Sabbah
Adaptation par Monique Sabbah
L'Ecole des loisirs
Collection "Neuf"
2004

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bonne idée ! il faut d'ailleurs que je mette à jour ma page de Contes japonais.
Il y a pas mal de ressources en ligne, mais en anglais en effet.
Promis, dans les devoirs de vacances de fin d'année, une petite bibliographie de contes japonais à acheter, commentée en plus !
En attendant, sous le lien indiqué plus haut, la référence à un recueil numérisé contenant treize contes japonais traditionnels, réunis par Claudius (Claude ?) Ferrand et traduits en français, publié en 1903. Bonne lecture !

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour ce lien très intéressant ! Je me suis empressé de télécharger sur Gallica ce vieux livre des Editions de l'Education nationale (!!)... la version numérique ne donne pas l'odeur du vieux papier, hélas ! C'est marrant car la première histoire est aussi une histoire de tortue, assez proche (mais différente) de celle du recueil de l'Ecole des loisirs.

J'attends donc cette liste commentée de contes que tu me promets !
En attendant, j'ai filé à la bibliothèque cet après-midi et j'ai ramené quelques belles histoires japonaises.
De belles découvertes en perspective, je le sens !

Dvorah a dit…

Connaissez-vous "le Japon" de Lafcadio Hearn, ed Mercure de France ?
Un délice. L'auteur en lui-même est déjà un héros de contes...

Anonyme a dit…

Non, je ne connaissais pas Lafcadio Hearn, mais une recherche sur Internet me dit que la vie de ce grand voyageur a l'air bien intéressante. J'ai repéré aussi un autre de ses livres, "Fantômes du Japon"...
Merci pour cette référence !
Dommage que mon Père Noël refuse de m'offrir des livres pour Noël, sous le fallacieux prétexte que j'en aurais trop déjà ! (Quelle drôle d'idée !)