lundi 17 novembre 2008

Botchan

Novembre 1905. Voilà 38 ans que le Japon vit à l'ère Meiji, période inédite qui a bouleversé son histoire et l'a fait s'ouvrir vers l'extérieur et entrer de plein pied dans la modernité. Un chat noir et un chat blanc se battent, tandis qu'un homme est assis devant chez lui et se coupe les ongles de pieds. Il s'agit de l'écrivain Soseki Natsume, né en 1867, quasiment en même temps que l'ère Meiji. "Où va le Japon ?" se demande-t-il, alors que germe en lui l'idée d'un nouveau roman. Un roman qui serait gai et drôle, un "récit picaresque avec une morale édifiante", dont le héros serait un "petit gars d'Edo" (p. 47). Doucement, le personnage de "Botchan" naît dans son esprit. Soseki ne sait pas encore très bien quelle sera l'intrigue de son roman. Ce qu'il sait, c'est qu'il a besoin d'écrire pour calmer ses nerfs, un peu comme si l'écriture était un "pet de l'esprit" (p. 50).
C'est ainsi que s'ouvre le monumental "manga littéraire" du scénariste Natsuo Sekikawa et du mangaka Jiro Taniguchi, dont j'ai déjà parlé à multiples reprises. Au temps de Botchan est un manga en cinq tomes qui dresse un panorama détaillé de la littérature japonaise de l'ère Meiji, au début du XXe siècle. S'intéressant à plusieurs personnages clés du monde culturel et littéraire, les deux auteurs évoquent avec précision cette époque d'un Japon à la fois fasciné par le monde occidental et violemment effrayé des changements brutaux des débuts de l'industrialisation et de l'occidentalisation qui le font tourner le dos à ses traditions.
J'avais abordé cette longue saga il y a quelques mois par le tome 4 (oui, je suis fâché avec l'ordre !), consacré à des portraits d'activistes politiques d'extrême gauche, et en particulier à l'anarchuste Shusui Kotoku qui sera condamné à mort pour avoir tenté d'assassiner l'empereur. Bien qu'il n'y ait pas d'ordre narratif imposé entre les différents tomes, j'avais trouvé ce manga relativement difficile à lire, dû en particulier à la grande quantité de noms et de personnages évoqués et à mes nombreuses lacunes sur la vie politique du Japon du début du siècle. Le volume 1 du Temps de Botchan est davantage centré sur l'histoire d'un seul personnage - celui de Soseki - et sur la naissance et l'écriture de son célèbre roman Botchan. Le manga paraît ainsi plus facilement abordable, d'autant plus que la richesse (quasi encyclopédique parfois !) du scénario est mise en valeur par le dessin précis et la construction presque cinématographique de Taniguchi. On assiste à la genèse d'une œuvre qui, bien que son auteur l'ignore encore, deviendra LE classique de la littérature japonaise, connu et étudié par tous les petits Japonais à l'école.
Honte à moi, je ne connaissais pas ce roman de Soseki. Pourtant le petit livre Botchan, dans sa jolie édition du Serpent à plume, dormait dans ma bibliothèque depuis des années, m'ayant suivi avec fidélité d'un déménagement à l'autre. La lecture du manga était donc l'occasion inespérée de lire enfin ce fameux roman. Il s'agit d'un roman à la première personne, raconté par le héros que sa nourrice appelle "Botchan", ce qui signifie jeune maître. Botchan se qualifie lui-même d'impulsif et bagarreur. La vérité, c'est qu'il se révèle souvent naïf et irréfléchi. Orphelin dès l'adolescence, il achève des études qui le mènent - sans qu'il l'ait vraiment choisi - vers la carrière de professeur de sciences physiques. Nommé loin de son Tokyo natal, dans une petite bourgade de l'île de Shikoku, il est projeté dans un univers qu'il juge immédiatement hostile et dans lequel il n'arrive pas à s'intégrer. Ses élèves se moquent de lui et lui jouent de vilains tours qui feraient cauchemarder tout stagiaire d'IUFM. Mais Botchan ne trouve pas plus d'affinité auprès de ses collègues qu'il baptise de surnoms ridicules et dont il découvre progressivement les manoeuvres intrigantes et hypocrites. Roman initiatique, Botchan est le récit désabusé d'un échec. Soseki a certainement été inspiré par sa propre expérience de jeune enseignant à Matsuyama, ville thermale perdue dans la campagne.
Le style de Soseki est sans concession, porté par un cynisme et un esprit satirique acerbe. Botchan est à la fois héros et anti-héros. Il se révèle orgueilleux, imbu de lui-même, méprisant vis-à-vis de ses jeunes élèves et dans l'ensemble souvent ridicule tant il porte sur les intrigues humaines un regard naïf, voire benet. Et en même temps, Botchan est malgré tout attachant, notamment par sa droiture inflexible et par l'affection qu'il porte à son ancienne domestique, Kyo, quasi seul personnage féminin du roman.
Soseki aurait écrit Botchan en quelques jours seulement - voilà qui m'impressionne ! La lecture de ce roman est une formidable plongée dans le Japon de Meiji qui, moderne à l'époque, apparaît à nos yeux aujourd'hui décalé et ancien. En même temps, j'ai trouvé qu'il y avait parfois quelques longueurs. L'histoire est enfermée dans le microcosme du lycée et, un peu plus largement, de la petite ville provinciale. L'intrigue, collée à cette unité de lieu, peine parfois à avancer et manque d'une dimension supérieure.
En tous les cas, la lecture conjointe du manga et du roman est une façon idéale d'aborder l'œuvre de Soseki et l'un et l'autre ne cessent de se répondre. J'ai lu les deux livre conjointement et j'ai même relu quelques passages du manga après avoir terminé le roman. Mieux qu'une adaptation d'un roman en BD, il s'agit avec Au temps de Botchan d'un vrai accompagnement critique qui éclaire l'oeuvre, son auteur et le contexte historique.

Au temps de Botchan
Natsuo Sekikawa (scénario) / Jiro Taniguchi (dessin)
Le Seuil
5 volumes, parus en France à partir de 2002 (et au Japon à partir de 1987)

Botchan
Natsume Soseki
Traduit par Hélène Morita
Le Serpent à plumes
1993 (paru au Japon en 1906)

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