dimanche 31 janvier 2010

Le vieux fou de dessin

Avouons-le : je n'ai pas tenu ma promesse qui était celle d'accompagner tous les jeudis de l'année 2009 d'une estampe d'Hiroshige tirée de la route du Tokaïdo. Honte à moi ! On dira que c'est la faute au temps qui passe et à la paresse par qui je trépasse. Mais ce n'est pas parce que l'année 2009 est terminée qu'il me faut cesser là mon voyage, à quelques étapes à peine de la fin.

Continuons-le là où je l'avais laissé la dernière fois, lors de la 48e étape. Pour accompagner la 49e étape qui nous mène aujourd'hui à Tsuchiyama, sous la "pluie de printemps"...
Hiroshige, Sur la route du Tokaido
49e relais : Tsuchiyama
"Pluie de printemps" (Haro no ame)

... j'aimerais vous présenter un collègue d'Hiroshige, Katsushika Hokusai, un "vieux fou de dessin". L'expression est de François Place et est le titre d'un petit roman pour les jeunes, publié chez Gallimard Jeunesse.
Le vieux fou de dessin est une sorte de biographie fictive du grand Hokusai. François Place a imaginé un petit héros d'une dizaine d'années, Tojiro, vendeur ambulant dans les rues d'Edo. Celui-ci rencontre un jour par hasard un vieil homme complètement hors norme, qui passe ses journées à dessiner dans son atelier. Le vieil homme n'est autre qu'Hokusai, le grand artiste, déjà célèbre à son époque et reconnu comme un des plus grands artistes de son pays. Le vieux peintre prend le petit Tojiro sous son aile et en fait son apprenti, lui faisant découvrir sa façon de dessiner et, avec elle, l'art et la technique des estampes.

Par le prétexte de la rencontre imaginée entre une personnalité réelle et un personnage de roman, François Place nous fait merveilleusement découvrir le monde des estampes et nous permet d'assister en direct à la création artistique. Certes, certains passages sont très didactiques et on sent bien que le dialogue entre les deux personnages n'est qu'un prétexte pour donner des informations. Mais l'histoire se lit comme un roman... c'est le cas de le dire !

François Place n'est pas seulement auteur. C'est aussi un illustrateur de talent. C'est lui qui illustre les pages de ce roman, par de nombreuses petites illustrations au trait, dont certaines sont fortement inspirées d'Hokusai. Plus encore, lorsque François Place fait parler Hokusai, on sent qu'à travers lui c'est un artiste qui parle et qu'il veut nous faire entrer au plus intime de la création artistique. François Place n'est-il pas en quelque sorte le petit Tojiro qui apprend au contact de l'observation du grand maître ?© Ill. François Place - Éd. Gallimard-Jeunesse / Extrait du roman Le vieux fou de dessin.

"Quand il revient, le peintre verse délicatement l'eau pure dans un suzuri. C'est une pierre à encre, sorte de godet rectangulaire dont le fond incliné forme le réservoir. Puis il saisit un bâtonnet d'encre de Chine et le frotte sur le fond abrasif de la pierre à encre. Lentement, l'eau se teinte d'un beau noir profond.
- Regarde comme cette encre est belle. Tu comprends, maintenant, pourquoi il me fallait de l'eau claire ? L'eau, c'est la clarté du jour et le blanc du papier. Le noir, c'est le velours de la nuit et l'encre satinée du pinceau. Si tu sais faire correctement de l'encre, tu n'auras plus jamais peur des cauchemars...
Le garçon s'approche et scrute le fond du suzuri.
- Peuh, je ne fais jamais de cauchemar...
- Crois-moi, petit moineau, celui qui sait apprivoiser le blanc du papier et le noir de la nuit peut dessiner tous ses rêves et ses cauchemars...
- C'est vrai ? demande Tojiro.
- C'est ce que je fais depuis que j'ai ton âge !"
François Place, Le vieux fou de dessin, (c) Gallimard Jeunesse, pages 59-60.


Le vieux fou de dessin
François Place
Folio Junior
Gallimard Jeunesse
1997 / 2008.

vendredi 15 janvier 2010

Une vie toute neuve

"Une vie toute neuve", c'est une belle expression pour commencer une nouvelle année, n'est-ce pas ? C'est en fait le titre d'un film franco-coréen sorti au cinéma la semaine dernière, réalisé par Ounie Lecomte.
L'histoire est celle d'une petite fille, Jinhee, qui a 9 ans en 1975, en Corée du Sud. Elle vit une vie d'enfant, insouciante et exaltée, aux côtés de son père. Le père nous est quasiment présenté sans visage, par des choix délibérés de prise de vue de la caméra. C'est que ce père va commettre l'impensable : abandonner son enfant. En effet, un jour, il achète à Jinhee une nouvelle robe, lui fait choisir un gros gâteau dans une pâtisserie, puis va avec elle dans une institution tenue par des soeurs catholiques. Il repart quelques minutes plus tard, sans donner un mot d'explication à sa fille, ni même lui dire au-revoir. L'institution est un orphelinat et c'est là que Jinhee va vivre les prochains mois.
Jinhee est devenue orpheline. Vérité difficile à accepter... et qu'elle n'accepte pas. Au fil des saisons, la vie de la jeune fille nous est montrée, et avec elle la lourde acceptation d'un destin non choisi. Car Jinhee résiste, refuse de se plier aux règles de l'orphelinat et ne veut pas se considérer orpheline, comme les autres petites filles de l'institution. Car l'accepter, ce serait accepter de ne jamais revoir son père. Pourquoi ne reviendrait-il pas ? Il lui a dit qu'il allait revenir... Les adultes ne tiennent pas leurs promesses ?

Ainsi racontée, l'histoire paraît mélodramatique, voire larmoyante à souhait. Il n'en est rien. Il y a beaucoup de pudeur et de délicatesse dans ce film. La petite actrice est pleine de retenue et de simplicité. Elle n'en fait jamais trop. Les scènes sont filmées quasiment à huis-clos : on ne quitte pas l'univers presque étouffant de l'orphelinat. De l'autre côté des grandes grilles, on devine le monde qui bouge, qui vibre. Mais les jeunes orphelines vivent refermées dans ce lieu étriqué, et pourtant en un sens plutôt rassurant (les personnages des adultes encadrants sont froids, mais en même temps attachants). Toute la force du film est de raconter l'histoire à partir du seul point de vue de la fillette. Cette focalisation sur le personnage principal nous fait entrer dans le regard de Jinhee et nous communique son mal-être, sa révolte. Jinhee s'emmure dans le silence, et pourtant à ce silence et à cette retenue s'accroche une émotion forte et communicative. Le personnage de son amie Sookhee, son double inversé, ouverte et enthousiaste, est lui aussi attachant et creuse dans cette solitude une amitié sincère.

Le film est largement autobiographique : sa réalisatrice Ounie Lecomte, comme son héroïne, est née en Corée du Sud et a été adoptée par une famille française. "Une vie toute neuve", c'est un passé douloureux à accepter, une vie à construire - "ce n'est qu'un au-revoir", comme le chantent les enfants au départ d'une pensionnaire de l'orphelinat partant rejoindre ses nouveaux parents adoptifs.
Un beau film qu'il ne faut pas tarder à aller voir... avant qu'il ne soit plus à l'affiche !

Une vie toute neuve ("A brand new life")
Réalisé par Ounie Lecomte
Avec Kim Saeron, Park Doyeon, Park Myeong-Shin
2009